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un trait continu ; c’est là une véritable généralisation. Mais on fait plus, la courbe que l’on tracera passera entre les points observés et près de ces points ; elle ne passera pas par ces points eux-mêmes. Ainsi on ne se borne pas à généraliser l’expérience, on la corrige ; et le physicien qui voudrait s’abstenir de ces corrections et se contenter vraiment de l’expérience toute nue serait forcé d’énoncer des lois bien extraordinaires.

Les faits tout nus ne sauraient donc nous suffire ; c’est pourquoi il nous faut la science ordonnée ou plutôt organisée.

On dit souvent qu’il faut expérimenter sans idée préconçue. Cela n’est pas possible ; non seulement ce serait rendre toute expérience stérile, mais on le voudrait qu’on ne le pourrait pas. Chacun porte en soi sa conception du monde dont il ne peut se défaire si aisément. Il faut bien, par exemple, que nous nous servions du langage, et notre langage n’est pétri que d’idées préconçues et ne peut l’être d’autre chose. Seulement ce sont des idées préconçues inconscientes, mille fois plus dangereuses que les autres.

Dirons-nous que si nous en faisons intervenir d’autres, dont nous aurons pleine conscience, nous ne ferons qu’aggraver le mal ! je ne le crois pas ; j’estime plutôt qu’elles se serviront mutuellement de contrepoids, j’allais dire d’antidote ; elles s’accorderont généralement mal entre elles ; elles entreront en conflit les unes avec les autres et par là elles nous forceront à envisager les choses sous