Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

plus grand que celui de 1912. Mais il est très simple, comme les autres ; et mon fidèle Joseph, devenu maître d’hôtel à l’Elysée, trouve cette installation bien peu confortable pour le maître qu’il a, de nouveau, accompagné en Russie.

Étendu sur une couchette assez incommode, je me demande, avant de pouvoir m’endormir, ce qui se trame en Autriche. Je ne me doute pas qu’hier, 21 juillet, Tschirschky, ambassadeur d’Allemagne, a reçu du Ballplatz le texte de l’ultimatum et que cette après-midi même le document explosif est arrivé à Berlin. M. de Jagow a, depuis lors, affirmé qu’il ne l’avait lu qu’à la fin de la journée, lorsque l’ambassadeur d’Autriche, comte de Szogyéni, lui en avait apporté un autre exemplaire, qu’il avait trouvé la rédaction trop rude et que l’ambassadeur lui avait répondu : « Il est trop tard pour faire des changements. » Mais, dans son rapport à Vienne, rédigé sur le moment même, le comte de Szogyéni déclare, au contraire, que M. de Jagow a donné sa pleine approbation à la teneur de la note.

En tout cas, ni M. de Jagow, ni M. de Bethmann-Hollweg n’ont télégraphié à Vienne pour conseiller l’atténuation de l’ultimatum, et cependant ils avaient tout le temps de s’interposer, puisqu’ils savaient que la démarche ne serait faite à Belgrade qu’après mon départ de Russie.


Jeudi 10/23 juillet. — Tout le monde me demande avec intérêt des nouvelles de M. Viviani et de sa crise de foie. Il est heureusement remis de son indisposition et son hypocondrie a disparu. Dans le même équipage qu’hier, nous passons devant le front des troupes en armes ; puis l’Impératrice et moi, entourés des officiers de la France et du Jean-Bart, ainsi que des grandes-duchesses, nous nous installons sur le tertre qui domine le champ de manœuvres, pendant que l’Empereur, le grand-duc Nicolas et leurs suites se tiennent à cheval, non loin de nous. Le défilé commence. Belles troupes, moins correctement alignées que les nôtres, moins crânes d’aspect, mais, dans l’ensemble, la tenue est bonne. Je reviens en auto, seul avec l’Empereur, qui me conduit à son pavillon, où les hors-d’œuvre, suivant l’usage russe, sont d’abord servis séparément. Grands-ducs et grandes-duchesses sont là et m’invitent à déguster le caviar. Nous nous rendons ensuite, le Tsar et moi, dans la salle où a lieu le déjeuner militaire.

Le Tsar me fait présenter plusieurs de ses généraux par leur chef, le grand-duc Nicolas. Puis, nous repartons pour Peterhof. Aucun de nous ne soupçonne guère qu’aujourd’hui même, 23 juillet, le prince Lichnowsky, après avoir causé avec sir Ed. Grey, a vivement, mais vainement, insisté auprès de M. de Jagow pour que l’Allemagne ne se solida-