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visite, l’ennemi a massé des troupes dans la région de Mulhouse et semble préparer une offensive nouvelle. Mais, par une contradiction singulière, en même temps que l’autorité militaire me condamne à l’abstention, le Bulletin des armées commente bruyamment, ce matin, l’installation d’un juge français à Thann. La mesure a été prise, est-il dit, par le commandant de place « au nom du peuple français ». Le Conseil des ministres trouve, non sans raison, qu’il y a au G. Q. G. quelques officiers trop enclins à ignorer le pouvoir civil et Millerand est chargé de rappeler à l’état-major l’existence du gouvernement.

Les nouvelles de Russie se précisent. Les pertes en hommes ont été très importantes, mais elles peuvent être assez rapidement réparées. Il y a de nombreux soldats dans les dépôts. Ce qui manque, ce sont les fusils. Il en faudrait plusieurs centaines de mille et les usines n’en fabriquent que cent mille par mois. D’autre part, la consommation de projectiles d’artillerie a dépassé toutes les prévisions. En quatre mois de guerre, elle s’est élevée à près de six millions d’obus. Les approvisionnements qu’exigerait la reprise de grandes batailles ne seront reconstitués que vers le 15 avril 191515. Toute offensive est donc forcément retardée jusqu’à cette date et il est à craindre que les Allemands, tranquilles en Orient, ne ramènent des forces sur notre front. Ce serait l’inverse de ce que redoutait Joffre. En tout cas, sur le théâtre russe comme sur le théâtre occidental, la prolongation de la guerre devient inévitable.



15. De Petrograd, n° 1116.