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implacable. Je trouve quelque puérilité dans cette façon d’exprimer la haine et je me demande s’il va falloir, pour ne pas être noua-mêmes suspects de Germanisme, changer les noms de Strasbourg, de Cabourg, de Bourg-en-Bresse et de tant d’autres bourgs de France…

Mais voici l’instant fatal. Il est dix heures et demie du soir. Nos automobiles et nos chevaux sont déjà partis dans la journée, les uns par route, les autres par chemin de fer. Mme Poincaré et moi, nous quittons successivement l’Élysée dans des voitures réquisitionnées. Elle me précède avec les domestiques, le siamois et la griffonne bruxelloise. Nous laissons notre briarde noire à celui des Gardes du jardin qui a coutume de lui donner l’hospitalité dans son pavillon. Je pars, de mon côté, avec le général Duparge. Quelques habitants du quartier, groupés sur les trottoirs du faubourg Saint-Honoré, me saluent et me crient : « À bientôt ! Au revoir ! » Sous un beau ciel étoilé, nous allons, par des rues sombres, jusqu’à la gare d’Auteuil, elle-même à peine éclairée. Le train qui doit nous emmener à Bordeaux est là, qui nous attend. Tous les ministres sont déjà sur le quai, avec leurs femmes, leurs chefs de cabinet, des collaborateurs civils et militaires. Dans le wagon, où nous sont réservés, à Mme Poincaré et moi, deux compartiments voisins à couchette, sont également installés M. Briand, M. et Mmc Ribot, M. et Mme Millerand. Tout concourt à me donner l’impression lugubre d’un exode officiel, affranchi de tout protocole, mais soumis, en revanche, à une discipline militaire. Le train siffle, timidement. Nous partons, le cœur serré. Mes yeux restent obstinément attachés sur les formes