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et il porte en sautoir l’écharpe tricolore, comme s’il s’était lui-même, de sa propre autorité, institué commissaire aux armées de la République. Il arrive de Vervine singulièrement excité. Il a vu, dit-il, dans les environs de Laon, nos troupes en désordre. Le soue-préfet de Vervins lui a confié que nos chefs sont ou découragés ou incapables. À Laon même, il n’a pas rencontré un seul soldat français. Il a pu admirer à Compiègne des Anglais à l’allure magnifique. Nos hommes sont, pour la plupart, excellents et pleine d’ardeur. Mais les chefs !… Et M. Magniaudé conclut avec un grand sérieux : « Il faudrait des commissaires aux armées pour surveiller ce qui se passe et pour relever le moral des troupes. »

Puis, voici de nouveau M. Touron, qui semble de plus en plus affolé. Il nous répète, à Viviani et à moi, qu’on nous trompe, que nos armées sont cernées. Nous essayons vainement de le calmer. Bien que généralement raisonnable et pondéré, il ne se domine plus.

Entre quatre et sept heures de l’après-midi, tandis que siège le Conseil des ministres, il revient encore à l’Élysée et il est reçu par Félix Decori. Il a eu, dit-il, une communication téléphonique avec M. Sébline, comme lui sénateur de l’Aisne, qui possède, un peu au sud de Saint-Quentin, une propriété actuellement occupée par l’ennemi. Les Allemande se conduisent, parait-il, courtoisement envers M. Sébline, mais ils lui répètent : « Parie paiera pour la France. » Le sénateur est monté sur le toit en terrasse, d’où il voit, dans un rayon de dix kilomètres, la bataille se dérouler autour de lui. Il peut encore téléphoner librement avec Laon et avec Paris. Il fait savoir à M. Touron