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Mais je ne puis m’attarder à Fougères. Je suis attendu à Antrain et à Dol. Je dois ensuite achever ma journée sur la côte d’Émeraude, à Saint-Malo et dans le voisinage. Je vais saluer « les gémissantes amies » de Chateaubriand, les vagues de la mer bretonne, que je ne retrouve jamais sans un secret et doux émoi. Pendant plusieurs heures, se succèdent devant nous des visions enchanteresses, les rues graves et les anciennes demeures de Saint-Malo, les remparts, les tours fameuses des Dames et des Moulins, de la Générale et de Quiquengrogne, la plage et les jolies villas de Paramé, la coquette cité de Saint-Servan, et la tour Solidor, trèfle de pierre poussé sur un rocher. Partout, des arcs de triomphe, des drapeaux et des fleurs. Partout, des cris de joie, des mouchoirs qui s’agitent, des mains qui applaudissent.

À la cale Solidor, nous nous embarquons pour Dinard. La Rance nous sourit dans la clarté de cette belle journée printanière. Je me rappelle la page des Mémoires d’outre-tombe, où est si amoureusement décrit le cours de la rivière qui nous porte. Voici bien ce mélange continuel de rochers et de verdures, de grèves et de forêts, de criques et de hameaux, d’antiques manoirs de la Bretagne féodale et d’habitations modernes de la Bretagne commerçante. Mais aujourd’hui le pavillon tricolore flotte aux fenêtres des maisons et aux mâts des navires ; des masses humaines font de longues taches noires au bord des eaux, pendant que la ville de Saint-Malo, serrée dans son corset de murailles et brillamment parée, se profile là-bas sur l’horizon bleu. La Marseillaise, mouillée à l’entrée de l’estuaire, tire à notre approche les vingt et un coups réglementaires