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contre toute tentative de changement, quelles que puissent être, à cet égard, les tendances de la majorité nouvelle. Je lui réponds qu’il a, sur ce point essentiel, ma pleine approbation. L’état de l’Europe nous interdit évidemment d’affaiblir nos moyens de défense.

Le même jour, à trois heures de l’après-midi, arrivent à la gare du Bois-de-Boulogne, le Roi et la Reine de Danemark, qui viennent, à leur tour, nous rendre visite. Nous allons au-devant d’eux, Mme Poincaré et moi, et une fois de plus la foule des curieux nous salue de vivats répétés. Cet accueil de la rue ne m’aveugle pas sur les difficultés de mon métier. Je songe au Roi que j’ai maintenant à recevoir. Comme George V d’Angleterre, Christian X de Danemark est un souverain constitutionnel. Il connaît, lui aussi, tout ce qu’a d’ingrat le rôle d’un chef d’État irresponsable, soumis aux variations des volontés populaires ; mais il a, du moins, pour le soutenir aux heures incertaines, le prestige impersonnel et durable d’une dynastie. Dans les pays monarchiques, le Roi peut encore, sans doute, apparaître à son peuple comme la pure image de la patrie. Dans une République, un Président élu, ce n’est qu’un homme politique, qui est sorti du rang hier et y rentrera demain, et qui, même dans l’exercice de sa magistrature, conserve des partisans et des adversaires ; il a beau faire pour s’élever au-dessus de la lutte ; il traîne avec lui le souvenir de son passé, et même lorsqu’il a entièrement dépouillé le vieil homme, il n’est qu’un symbole obscurci de la nation. Est-ce vraiment la France que je représente aux yeux de ces braves gens qui sont là debout sur les trottoirs ? Ou si c’est aux grands