Page:Poictevin - Songes, 1887-1888.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

participe à ce monde. Ça l’empêche de respirer, quand il va arriver des misères à ceux qu’elle favorise.

D’un Lavater qu’elle maniait pour les images, il s’est inculqué en elle des ressemblances de tête entre tel homme et tel animal. Des animosités se déclaraient contre des airs. Elle étendait ces comparaisons aux personnes connues. Un conseiller municipal « qui se dressait », elle le montra du doigt aux parents sur le livre. Ne correspondait-il pas tout à fait à l’âne ? Le même air malicieusement bonasse.

Dans l’Histoire sainte, elle concevait bien qu’on désirât l’âne, le bœuf du prochain, mais la servante ? qu’est-ce que ça signifiait ? On lui répondrait peut-être par une plaisanterie… Elle se gardait sa curiosité.

Son père lui demande si elle a bien étudié, elle tournaille dans ses réponses. « Prends garde, ton bout du nez branle », dit le papa, que ses petits doigts avertissaient de tout. Ils ne différaient pas des siens, pourtant…

Venant de chiper des raisins secs dans un cabinet de la chambre de la maman, elle traversait le bureau du papa, dont le portrait avait une puissance. Le larcin serré dans sa poche, elle passe, se risque à une œillade vers les yeux qui la suivent. Que de fois elle a couru d’un bout à l’autre de la pièce, se cachant derrière le fauteuil, pour voir si les yeux regarderont toujours. Elle va jusqu’à demander à sa mère s’ils ne dorment pas la nuit. Quoique on lui dise que c’est de la toile, les yeux ne sortent pas de son idée.

Et elle ne s’absorbait pas dans ses petites joies. Si ce qu’on lui donnait faisait envie à une camarade, elle n’aurait pas su dire non, ou elle le changeait contre une chose moins belle. Friande d’un plat, de mayonnaise, d’œufs à la neige, de tout son cœur elle en souhaitait autant aux pauvres, qu’Hermine avait coutume de plaindre.

En marchant sur le bord du bois dans les feuilles mortes, elle s’accouvait, pour que la robe froissât les feuilles, les fît rouler.

Vers les dix ans, elle fut laissée chez des parentes à Paris, pour y aller à l’école, se déshabituer du village. Elle n’en revenait pas de ces maisons à tant d’étages, habitées par des gens qui ne se connaissent pas. Au pays, chaque famille a sa maison. Tout de suite elle voulut voir comme c’est grand un fleuve, se le figurant d’après les cartes de géographie. La rivière d’Hay devait danser combien de fois là-dedans ! Puis la Seine lui parut bien vilaine. Elle regretta sa rivière limpide. Et elle ne pouvait s’habituer aux cris des marchands de légumes, de poissons, le matin dans les rues. Le temps lui durait. Elle devenait insolente. Une dame bordelaise demeurant au-dessous, au premier, avec son mari goutteux emmitouflé de ouate dans son fauteuil, lui montra ses oiseaux. « Il ne faut pas croire me