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Quand elle se réveille maintenant, son souci c’est la classe. Comment l’éviter ? Non qu’elle fût paresseuse. Elle ne voulait pas être tenue. Des fables, c’était en riant que son père les lui faisait apprendre.

Tout au bout du village, habitait une bûcheronne avec son fils cloutier, sa belle-fille et une enfant. De grand matin elle s’en allait dans les bois. Même on disait que, les samedis, elle restait la nuit au sabbat. Dans sa figure toute regrenie ses sourcils noirssaillent, ses cheveux gris épais sortent en guiches de son fichu, son nez, son menton, font carnaval. Malgré l’âge elle marche droite, sur une épaule son bissac gonflé de petits sacs pleins de ses glanures. Ce bissac dans lequel elle apporte son blé à moudre au moulin, attendant sa farine à croupeton sur le pas de la porte, car « les valets valou ran ». Le paysan se ménage avec elle. La Badaule a des herbes pour guérir les bêtes et les gens. Elle va on ne sait où, par les bois, les chemins, autour de l’église, elle commerce avec on ne sait qui, avec les clas peut-être, brillant le soir dessus les gouilles. Si parfois Hermine la rencontre, elle glisse un « Bonjour Sophie ». Pas plus qu’il ne faut elle ne ralentit le pas auprès de celle qui, portant des sorts dans son jupon recoursé, pourrait l’ensarer. D’un endroit sur un plateau plus élevé que le village et où des charbonniers coupent les sapins pour faire du charbon, elle racontait à l’enfant que les ronds de terre brûlés là, cendreux, c’étaient les restants du sabbat de la Badaule et d’autres. Et Licette croyait vraiment, les samedis, par les soirs de clair de lune, regarder la Badaule danser au-dessus de ces cercles de feux, sur cette place devinée tout là-bas et éclairée sans qu’on pût voir.

Ce que pouvait bien être le ciel, là où les âmes partent un jour, elle essayait de le deviner. La perspective d’un pareil voyage la séduisait. Quand les nuées légères étaient comme d’un blanc chauffé, c’était le coin des enfants morts sans baptême. Le vrai ciel, c’était le bleu. Or, à cette époque on commençait à causer dans le village des chemins de fer. Sans qu’elle en eût jamais vus, elle se supposait sur des planches en fer. Grâce à ce moyen nouveau de se rendre dans des pays éloignés, elle allait vite sur ces étonnantes planches, si vite qu’elle ne se sentait plus bouger. Ses yeux, elle les tenait fermés ; tout son être se serrait de bonheur. Quelle filée par des immensités ! Cela prenait des proportions d’extase. Au bout de deux minutes, elle revenait de cette tournée. Elle ne cherchait pas où c’était. Mais c’avait été magnifique.

Elle est penchée sur un grand livre, — des histoires remplies de périls pour les braves, de luttes sans triomphe. Bientôt elle ne suit plus avec son doigt, elle veut faire la grande personne, mais, reprenant à la ligne, elle les voit toutes, plus haut, plus bas, qui s’embrouillent. Peu à peu elle