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étaient sous clef dans une armoire de sa chambre. Et puis, elle mangeait tout tellement au sel « pour être fraîche après sa mort », une plaisanterie d’elle, et elle avait si soif, sans jamais rien boire que de l’eau. Et dans l’alcôve de sa chambre Licette l’a vue dormir presque assise, contre des coussins empilés. Tante Isabelle par elle même déjà n’était donc pas comme tout le monde, et la petite qui remarquait les choses, qui avait ses idées, avait vers elle un penchant, mais sans l’affectionner. Si elle lui lissait, nattait les cheveux, l’enfant n’eût jamais osé regimber, quand même on les tirait. Sa maman seule avait la main douce, mais tante avait coutume de lui arranger des frisons, des choux, des rosettes.

Sa chambre surtout était tentante. Montant l’escalier d’ordinaire quatre à quatre, elle continuait de son pas pressé devant la porte de cette chambre jusque dans la sienne au fond du couloir, car elle craignait qu’on pût la soupçonner de regarder par la serrure. Qu’elle était anxieuse chaque fois ! comme elle avait envie de pousser cette porte ! c’était quelque chose de quasi-sacré, ce seuil. Mais enfin la porte était entr’ouverte, des fois. Elle se risquait à chape-chuter, s’encourageant ainsi elle frappait. Dans l’entre-bâillement elle voyait sa tante dans un tremblement de jour. À une table à ouvrage, elle travaillait à de la dentelle, près de la croisée dissimulée, tendue de doubles rideaux de mousseline à transparents de soie rose. Et de beaux livres sur une étagère, d’autres sans doute enfermés dans la fameuse armoire thuia-palissandre en damier, d’autres encore étalés sur la table de noyer à pieds tordus avec un tapis à grandes franges ! Un seul fauteuil, sous une housse assortie aux papiers des murs, et les chaises qu’elle savait que sa tante avait tapissées. Ça sentait une odeur, des odeurs différentes, combinées, l’odeur de la chambre de tante. Licette s’en laissait pénétrer. Elle n’osait pas parler, parce qu’il lui semblait bien qu’il faudrait dire très correctement les mots devant cette demoiselle si soignée, si entourée de belles affaires. Elle restait plantée, sans dire pourquoi elle venait. La tante l’embrassait sur un coin du front. Si l’enfant se montrait émerveillée, cela déplaisait à la jeune fille adorant son renfermé. Aussi, la petite s’en allait toujours plus vite qu’elle n’était venue. Dans la prestesse du départ, elle oubliait ce que, sans ce trouble en présence de la tante, elle eût observé, retenu. Elle croyait avoir vu beaucoup plus qu’il n’y avait, elle cessait d’être « l’étournotte ». Tante Isabelle devenait quelque dame grandie, délicieuse et redoutable, dans sa chambre au jour rose, parfumé, aux reliures égayantes. Si elle envoyait l’enfant chercher quelque objet dans sa chambre, elle ne manquait pas d’en indiquer la place exacte, et Licette savait qu’elle ne pouvait rester à regarder ces trésors. Malgré tout, avant de redescendre, elle touche la tapisserie de papier glacé, des guirlandes de roses, des bouquets comme de vraies fleurs de haie se détachant du mur.