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ne pouvait suffire à leur subsistance, et ils cherchaient d’autres terres pour s’y s’établir. C’était une multitude infinie d’hommes jeunes, belliqueux, et qui menaient à leur suite un nombre plus grand encore de femmes et d’enfants. Les uns, franchissant les monts Riphées, se répandirent vers l’Océan septentrional, et se fixèrent aux extrémités de l’Europe ; les autres s’établirent entre les Pyrénées et les Alpes, près des Sénonais et des Celtoriens[1], et ils y restèrent longtemps. À la fin, ayant goûté, pour la première fois, du vin, qu’on leur avait apporté d’Italie, ils trouvèrent cette boisson si agréable, et ils furent si ravis du plaisir nouveau qu’elle leur avait causé, que, prenant aussitôt leurs armes, et emmenant avec eux leurs parents, ils se portèrent du côté des Alpes, pour chercher cette terre qui produisait un pareil fruit, et au prix de laquelle toute autre terre leur paraissait stérile et sauvage.

Celui qui leur avait fait connaître le vin, celui qui avait mis en eux et qui aiguillonnait ce désir de passer en Italie, c’était, dit-on, Aruns, un homme d’Étrurie, illustre dans son pays, et qui, sans être d’un naturel méchant, voulait se venger d’un affront qu’il avait reçu. Il avait été le tuteur d’un jeune orphelin, nommé Lucumon[2], le plus beau et le plus riche de ses concitoyens. Élevé sous les yeux d’Aruns depuis son bas âge, Lucumon, quand il fut parvenu à l’adolescence, ne quitta point cette maison, feignant une vive tendresse pour son ancien tuteur. Cependant il entretenait avec sa femme, qu’il aimait et dont il était aimé, une liaison criminelle. Longtemps

  1. Tout ce qui précède est bien vague et bien obscur, et il n’est pas aisé de se figurer le mouvement des migrations indiquées par Plutarque. Au reste, les Sénonais occupaient une partie de la Gaule lyonnaise, et ils avaient Sens pour capitale ; quant au nom des Celtoriens, ou ne le trouve nulle part qu’ici.
  2. Lucumon était le nom que les Étrusques donnaient à leurs rois, ou aux chefs de chacune de leurs douze souverainetés, appelées elles-mêmes lucumonies. Le jeune homme dont parle Plutarque était probablement d’une famille de Lucumons.