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valétudinaires. Comme si ce n’était pas au grand dommage de leurs pères, tous les premiers, et de ceux qui les élèvent, que des enfants naissent contrefaits de pères défectueux ; et comme si des enfants nés de parents robustes, et qui leur ressemblent, ne faisaient pas leur bonheur[1]. »

C’est dans la nature et dans la politique que Lycurgue avait trouvé ses raisons ; et, loin que ces usages rendissent les femmes aussi faciles qu’elles l’ont été, dit-on, dans la suite, l’adultère n’était pas même connu à Lacédémone. On cite le mot de Géradas, un Spartiate des plus vieux temps. Un étranger lui demandait quelle peine on infligeait, dans son pays, aux adultères : « Mon ami, dit Géradas, il n’y a point chez nous d’adultères. — Mais s’il y en avait ? reprit l’étranger. — Il payerait, répondit Géradas, un grand taureau qui pût boire, en allongeant le cou, du haut du Taygète[2] dans l’Eurotas. — Mais, répliqua l’étranger, comment trouver un taureau aussi grand ? — Mais, dit en riant Géradas, comment trouver à Sparte un adultère ? » Voilà quels étaient, au rapport de l’histoire, les règlements sur les mariages.

Un père n’était pas maître d’élever l’enfant qui venait de lui naître. Il devait le porter dans un lieu appelé Leschée[3], où s’assemblaient les plus anciens de chaque tribu. Ceux-ci visitaient l’enfant ; et, s’il était bien conformé, et de complexion robuste, ils ordonnaient qu’on le nourrît, et ils lui assignaient, pour son apanage, une des neuf mille parts de terre : s’il était chétif ou contrefait, ils l’envoyaient jeter dans un gouffre voisin du mont Taygète, et qu’on appelait les Apothètes[4]. Ils ne voyaient

  1. Il est inutile de faire remarquer combien ce sont là de pauvres raisons. Le bonhomme Plutarque, qui semble y donner son approbation, laisse un peu trop dormir, ici et dans quelques autres passages de cette Vie, son bon sens accoutumé.
  2. Le Taygète était une montage de la Laconie.
  3. C’est-à-dire le lieu de causerie et de récréation.
  4. Du mot ἀποτίθημι, exposer, ou plutôt déposer.