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TROISIÈME ENNÉADE.


verselle, capable de créer sans délibération (car il n’eût pas possédé par lui-même la puissance de créer s’il lui eût fallu délibérer ; il ne l’eût pas possédée par son essence ; il eût ressemblé à un artisan qui n’a pas par lui-même le pouvoir de créer, mais qui l’acquiert en apprenant à travailler). En donnant quelque chose d’elle-même à la matière, l’Intelligence a tout produit sans sortir de son repos ni de sa quiétude[1]. Or, ce qu’elle donne, c’est la Raison[2], parce que la Raison est l’émanation de l’Intelligence, émanation aussi durable que l’existence même de l’Intelligence. Dans une raison séminale (λόγος ἐν τῷ σπέρματι)[3], toutes les parties existent unies ensemble, sans qu’aucune en combatte une autre, ni soit en désaccord avec elle ou lui fasse obstacle, et cette raison fait passer quelque chose d’elle-même dans la masse corporelle où les parties sont séparées les unes des autres, se font obstacle et se détruisent mutuellement ; de même, de l’Intelligence qui est une et de la Raison qui en procède est sorti cet univers dont les parties sont séparées et éloignées les unes des autres, par conséquent, les unes amies et alliées entre elles, les autres contraires et ennemies ; aussi se détruisent-elles les unes les autres, soit volontairement, soit involontairement, et, par cette destruction, elles opèrent mutuellement leur génération. Dieu a disposé, leurs actions et leurs passions de telle sorte que toutes concourent à former une harmonie unique en rendant chacune le son qui lui est propre, parce que la Raison qui les domine produit dans l’ensemble l’ordre et l’harmonie[4]. Le monde sensible n’a pas la perfection de l’Intelligence et de la Raison ; il participe seulement[5]. Aussi a-t-il eu be-

  1. Voy. Synésius, De la Providence, p. 97, C, éd. Petau.
  2. Voy. t. I, p. 191.
  3. Voy. t. I, p. 101, note 1 ; p. 189, note 4.
  4. Voy. Synésius, De la Providence, p. 127, C, éd. Petau.
  5. Voici comment S. Augustin a développé ce principe dans ses Confessions (VII, 11) : « Et inspexi cetera infra te, et vidi nec omnino esse nec omnino non esse : esse quidem, quoniam abs te sunt ; non