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XLII (XIX.) [1] L’antiquité ou Hérodote le premier (Hist., III) ont fait sur le cinnamome et la casia un récit fabuleux, que voici : Ces substances sont dans des nids d’oiseaux, et particulièrement dans les nids du phénix, aux lieux où Bacchus a été élevé ; et on les fait tomber du haut de roches et d’arbres inaccessibles, soit par des morceaux de viande pesants qu’on donne à ces oiseaux et qu’ils y portent, soit par des flèches de plomb. On dit encore que la casia vient autour de marais défendus par une espèce de chauve-souris aux griffes redoutables et des serpents ailés. C’est par ces contes qu’on augmente le prix des marchandises. Une autre fable marche de compagnie : c’est que sous les rayons du soleil de midi la péninsule entière exhale un parfum indicible composé de tous les arômes ; que la brise en est embaumée, et qu’elle annonça l’Arabie en haute mer à la flotte d’Alexandre avant qu’on l’aperçût.

[2] Tout cela est faux, car le cinnamome ou cinname naît dans le pays des Éthiopiens (VI, 31), unis par des mariages aux Troglodytes. Les Troglodytes, l’achetant des Éthiopiens leurs voisins, le transportent à travers de vastes mers sur des radeaux, sans gouvernail pour la direction, sans rames pour la traction ou l’impulsion, sans voile ni rien qui aide ; l’homme et l’audace tiennent lieu de tout. En outre, ils traversent une mer orageuse vers le solstice d’hiver, époque à laquelle règnent les Eurus (vents sud-est).

[3] Ces vents les conduisent directement de golfe en golfe ; et, après leur avoir fait doubler le promontoire [d’Arabie] (VI, 32, 11), le vent Argeste (II, 46) (du couchant solstitial) les conduit dans le port des Gébanites, appelé Ocila. Aussi est-ce le port où ils se rendent de préférence. On raconte que les marchands reviennent à peine au bout de cinq ans, et que beaucoup périssent. En échange, ils rapportent des objets en verre, des vases de cuivre, des étoffes, des agrafes, des bracelets et des colliers. Ainsi ce commerce dépend principalement de la constance des goûts chez les femmes.

[4] L’arbrisseau même a deux coudées de hauteur au plus, et un palme au moins ; il est épais de quatre doigts ; à peine à six doigts du sol, il pousse des jets ; il semble desséché. Vert, il n’a pas d’odeur. La feuille est celle de l’origan (XX, 67). Il aime la sécheresse, produit moins par un temps pluvieux, et veut être taillé. Il vient dans des terrains plats, Il est vrai, mais au milieu des ronces et des épines les plus fourrées ; aussi la récolte en est-elle difficile. On ne la fait qu’avec la permission du dieu (quelques-uns pensent que ce dieu est Jupiter, les indigènes le nomment Assabinus). On obtient la permission de pratiquer la taille en Offrant les entrailles de quarante-quatre bœufs, chèvres et béliers ; encore cela n’est-il permis ni avant le lever ni après le coucher du soleil. Le prêtre divise les sarments avec une pique, et fait la part du dieu : le reste est mis par le marchand en masses. D’après une autre version, le Soleil participe au partage : on fait trois parts ; on tire deux fois au sort ; ce qui échoit au Soleil est abandonné, et s’embrase spontanément.

[5] La partie la plus mince des branches dans la longueur d’un palme est le meilleur cinnamome ; la seconde qualité comprend les parties situées au-dessous, mais dans une moindre étendue, et ainsi de suite. Ce qui est le moins estimé, c’est ce qui est le plus près des racines, parce que là il y a le moins d’écorce ; et l’écorce est la partie recherchée. Pour cette raison on préfère les sommités, qui ont le plus d’écorce. Quant au bois lui-même, on n’en fait pas de cas, à cause du goût âcre d’origan qu’il a ; on le nomme xylocinnamome. Le prix en est de 10 deniers (8 fr. 20) la livre. Quelques-uns ont parlé de deux espèces de cinname, l’une blanche, l’autre noire. Jadis on préférait la blanche ; maintenant la noire est vantée, et même on estime plus l’espèce à couleurs variées que la blanche. Le plus sûr caractère de la bonté du cinnamome, c’est qu’il ne soit pas raboteux, et que les morceaux frettés entre eux ne s’émiettent que lentement. On rejette surtout celui qui est mou, ou dont l’écorce ne tient pas.

[6] Cette denrée est entièrement entre les mains du roi des Gébanites, qui ouvre le marché et fait la vente. Le prix en a été jadis de 1000 deniers (820 fr.) la livre. Il a été augmenté de moitié en sus, les forêts ayant été, dit-on, incendiées par les barbares irrités (16). Cet incendie a-t-il été provoqué par l’injustice des hommes puissants, ou est-il dû au hasard ? c’est ce qui n’est pas éclairci. Nous lisons dans les auteurs que là soufflent des vents du midi tellement brûlants, qu’en été ils occasionnent l’embrasement des forêts. L’empereur Vespasien Auguste a le premier consacré, dans les temples du Capitole et de la Paix, des couronnes de cinname renfermées dans de l’or ciselé. Nous en avons vu une racine très pesante dans le temple du mont Palatin qu’Augusta (Livie) avait érigé en l’honneur de son mari le dieu Auguste : elle était posée sur une patère d’or ; il en sortait tous les ans des gouttes qui se durcissaient en grains : cela a duré jusqu’à la destruction du temple par un incendie.