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III. [1] Mais qui ne s’étonnera à juste titre qu’on fasse venir d’un Inonde étranger un arbre, uniquement pour son ombrage ? Je parle du platane (platanus orientalis, L.), qui, apporté d’abord à travers la mer Ionienne (III, 14) dans l’île de Diomède (III, 30 ; X, 61) pour le tombeau de ce héros, passa de là en Sicile : c’est un des premiers arbres exotiques qui ait été donné à l’Italie ; déjà il est arrivé jusque chez les Morins (Artois) ; (IV.) et le sol qu’il occupe est même sujet à tribut, de sorte que les nations payent pour avoir de l’ombre. Denys l’ancien, tyran de Sicile, transporta le platane dans sa capitale ; ce fut la merveille de son palais, transformé depuis en gymnase ; ces arbres ne purent prendre une grande croissance. Au reste, des auteurs disent qu’il y avait alors d’autres individus de cette espèce en Italie, et nommément en Espagne.

IV. [1] Cela se passait vers l’époque de la prise de Rome (an de Rome 364). Depuis, cet arbre est devenu dans une telle estime, qu’on le nourrit en l’arrosant de vin pur. On a reconnu que cet armement faisait beaucoup de bien aux racines. Ainsi, nous avons appris même à des arbres à boire du vin.

V. [1] On vanta d’abord les platanes de la promenade de l’Académie (XXXI, 3) à Athènes : un de ces arbres avait une racine, de trente-trois coudées, plus longue que les branches. Il existe aujourd’hui en Lycie un platane célèbre associé aux agréments d’une fraîche fontaine. Placé près du chemin, il présente en forme de maison une cavité de 81 pieds ; le sommet est une forêt ; entouré de vastes branches comme d’autant d’arbres, il prolonge son ombrage sur les champs avoisinants. Pour qu’il ne manque rien à la ressemblance d’une grotte, l’intérieur est garni d’un rang de pierres ponces couvertes de mousses. La chose est si merveilleuse, que Licinius Mucianus trois fois consul, et qui a été récemment légat de cette province, a cru devoir transmettre à la postérité qu’il y avait dîné lui dix-huitième, et qu’il y coucha sur un lit fourni abondamment par le feuillage de l’arbre, à l’abri de tous les vents, désirant entendre le pétillement de la pluie sur les feuilles, plus content qu’au milieu de l’éclat des marbres, de la variété des peintures et de l’or des lambris.

[2] La campagne de Véliterne offrit à l’empereur Caligula une merveille analogue : un seul platane présentait dans ses branches un plancher et de larges bancs ; l’empereur y dîna, lui-même donnant sa part d’ombre ; il y eut place pour quinze convives et les gens de service : il appela ce triclinium un nid. A Gortyne, dans l’île de Crète,. il est près d’une fontaine un platane célébré en grec et en latin ; il ne perd jamais ses feuilles ; les fables grecques n’ont pas manqué de s’y attacher : c’est sous cet arbre, dit-on, que Jupiter eut commerce avec Europe, comme si l’île de Chypre ne possédait pas aussi un platane qui ne perd pas ses feuilles.

[3] On propagea d’abord dans l’île de Crète (l’homme est avide de nouveauté) le platane de Gortyne, et les plants reproduisirent ce défaut ; car le platane n’a pas de plus grand mérite que d’écarter le soleil en été et de le laisser pénétrer pendant l’hiver. Puis, sous le règne de l’empereur Claude, un affranchi de Marcellus Aeserninus, mais qui par ambition se fit mettre au nombre des affranchis de l’empereur, eunuque thessalien très riche, transporta cette espèce de platane de Crète en Italie et dans sa maison de campagne ; de sorte qu’il pourrait être appelé un autre Denys. On voit encore aujourd’hui en Italie ces monstruosités exotiques, in¬dépendamment de celles que l’Italie elle-même a imaginées.