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c’est le porc, ou le cynocéphale ou quelque bête encore plus étrange parmi celles qui sont capables de sensation. C’eût été un début magnifique et d’une désinvolture hautaine ; car il eût ainsi montré que, tandis que nous l’admirions comme un dieu pour sa sagesse, il ne valait pas mieux pour l’intelligence, je ne dirai pas que tout autre homme, mais qu’un têtard de grenouille. Autrement que dire, Théodore ? Si, en effet, l’opinion que chacun se forme par la sensation est pour lui la vérité, si l’impression d’un homme n’a pas de meilleur juge que lui-même, et si personne n’a plus d’autorité que lui pour examiner si son opinion est exacte ou fausse ; si, au contraire, comme nous l’avons dit souvent, chacun se forme à lui seul ses opinions et si ces opinions sont toujours justes et vraies, en quoi donc, mon ami, Protagoras était-il savant au point qu’on le croyait à juste titre digne d’enseigner les autres et de toucher de gros salaires, et pourquoi nous-mêmes étions-nous plus ignorants, et obligés de fréquenter son école, si chacun est pour soi-même la mesure de sa propre sagesse[1] ? Pouvons-nous ne pas déclarer qu’en disant ce qu’il disait, Protagoras ne parlait pas pour la galerie ? Quant à ce qui me concerne et à mon art d’accoucheur, et je puis dire aussi à la pratique de la dialectique en général, je ne parle pas du ridicule qui les atteint. Car examiner et entreprendre de réfuter mutuellement nos idées et nos opinions, qui sont justes pour chacun, n’est-ce pas s’engager dans un bavardage sans fin et s’égosiller pour rien, si la Vérité de Protagoras est vraie, et s’il ne plaisantait pas quand il prononçait ses oracles du sanctuaire de son livre ?

THÉODORE

Cet homme, Socrate, était mon ami, tu viens de le dire toi-même, et je n’aimerais ni voir Protagoras réfuté par mes propres aveux, ni non plus te contredire contre mon opinion. Reprends donc Théétète, d’autant qu’il m’a paru ici encore se plier fort bien à tes suggestions.

SOCRATE

Si tu allais à Lacédémone, Théodore, et assistais aux luttes, croirais-tu bien faire de regarder les joueurs nus, dont quelques-uns malingres, sans te déshabiller toi-même et montrer tes formes comme les autres ?

THÉODORE

Pourquoi non, s’ils voulaient me le permettre et se

  1. C’est la même question que Socrate adressait aux sophistes dans l’Euthydème (287 a) : « Si nous ne nous trompons point, ni dans nos actions, ni dans nos paroles, ni dans nos pensées, s’il en est bien ainsi, au nom de Zeus, qu’est-ce que vous êtes venus enseigner ? »