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des couleurs de toute sorte le sont à des visions de toute sorte ; de même les sons le sont aux auditions et les autres objets sensibles sont liés par la nature aux sensations. Et maintenant, Théétète, quel est pour nous le sens de ce mythe[1] par rapport à ce qui a été dit plus haut ? Le conçois-tu ?

THÉÉTÈTE

Pas du tout.

SOCRATE

Eh bien, écoute ; peut-être pourrons-nous finir le mythe. Il signifie que tout cela, comme nous le disons, est en mouvement ; mais ce mouvement est rapide ou lent. Tout ce qui est lent se meut à la même place et vers les objets voisins et c’est ainsi qu’il engendre, et les produits ainsi enfantés sont plus rapides ; car ils se déplacent et c’est ce déplacement qui constitue naturellement leur mouvement. Lors donc que l’oeil et quelque autre objet qui lui correspond ont en se rapprochant engendré la blancheur et la sensation qui lui est liée par la nature, lesquelles n’auraient jamais été produites, si l’un ou l’autre était allé vers autre chose, alors, tandis que se meuvent dans l’espace intermédiaire la vision qui vient des yeux et la blancheur qui vient de l’objet qui a engendré de concert avec eux la couleur, l’oeil se remplit de vision ; il voit alors, et il est devenu, non pas vision, mais oeil voyant. Pareillement l’objet qui a concouru avec l’oeil à la production de la couleur s’est rempli de blancheur et il est devenu, non pas blancheur, mais blanc, que ce soit un morceau de bois, ou une pierre, ou tout autre objet qui se trouve coloré de cette couleur. Et il en est ainsi du reste : le dur, le chaud, toutes les qualités doivent être conçues de la même façon ; rien n’est tel en soi et par soi, comme nous le disions tout à l’heure ; c’est dans leurs approches mutuelles que toutes choses naissent du mouvement sous des formes de toutes sortes, car il est, nous disent-ils, impossible de concevoir fermement l’élément actif et l’élément passif comme existant séparément, parce qu’il n’y a pas d’élément actif, avant qu’il soit uni à l’élément passif, et ce qui, dans telle rencontre, a été agent, apparaît comme patient, en s’unissant à autre chose. Il résulte de tout cela, comme nous le disions au début, que rien n’est un en soi, qu’une chose devient toujours pour une autre et qu’il faut retirer de partout le mot être, bien que nous-mêmes nous ayons été forcés souvent, et tout à l’heure encore, par l’habitude et

  1. Platon appelle de ce nom de mythe la doctrine des relativistes, qu’il a exposée dans le style des théogonies. Il appelle du même nom dans le Sophiste (242 c-243 a) la théorie de l’être.