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d la cire qu’on a dans l’âme est profonde, abondante, lisse et pétrie comme il faut, et que les objets qui viennent par les sens se gravent dans ce coeur de l’âme, comme l’appelle Homère par allusion à sa ressemblance avec la cire, alors les empreintes qu’ils y laissent sont pures, suffisamment profondes et durent longtemps, et les hommes qui ont de telles âmes ont d’abord de la facilité à apprendre, puis de la mémoire, et enfin, ils ne confondent pas les empreintes de leurs sensations et forment des jugements vrais. Ces empreintes étant nettes et bien espacées, ils ont vite fait de les rapporter chacune à leurs cachets respectifs, les choses réelles, comme on les appelle ; et ces hommes sont appelés des sages. Cela ne te semble-t-il pas exact ?

THÉÉTÈTE

Merveilleusement.

SOCRATE

Au contraire, quand le coeur d’un homme est velu, qualité vantée par le poète dont la sagesse est parfaite[1], ou quand la cire, mêlée d’ordures, est impure et très humide ou très sèche, ceux dont la cire est molle sont prompts à apprendre, mais oublieux, et ceux dont la cire est dure, le contraire. Ceux chez qui est elle velue et dure comme de la pierre et mélangée partout de terre ou d’ordure reçoivent des empreintes indistinctes. Elles sont indistinctes aussi quand la cire est sèche, car la profondeur manque, et indistinctes encore quand la cire est humide, car elles se fondent ensemble et deviennent vite confuses. Mais si, outre tout cela, elles s’accumulent les unes sur les autres, faute de place, dans quelque âme petite, elles sont plus indistinctes encore. Tous ces gens-là sont dès lors sujets à juger faux. Car lorsqu’ils voient ou entendent ou conçoivent quelque chose, ils sont incapables d’assigner chaque chose à son empreinte, ils sont lents, prennent une chose pour une autre et, la plupart du temps, ils voient, entendent et pensent de travers. Aussi dit-on d’eux qu’ils se trompent sur les réalités et sont des ignorants.

THÉÉTÈTE

On ne peut rien dire de plus juste, Socrate.

SOCRATE

Alors, affirmerons-nous qu’il y a en nous des opinions fausses ?

THÉÉTÈTE

Certainement.

SOCRATE
  1. Par exemple, Iliade, II, 851 (le coeur velu de Pylémène) et XVI, 554 (le coeur velu de Patrocle).