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De quels élèves parles-tu, mon brave ? Parmi eux, aucun n’est disciple d’un autre : ils poussent tout seuls, au hasard de l’inspiration qui les saisit, et chacun d’eux pense que l’autre ne sait rien. Aussi de ces gens-là, comme j’allais le dire, on ne saurait tirer aucune explication, ni de gré, ni de force ; il faut les prendre et les examiner comme un problème.

SOCRATE

C’est parler sensément. Quant au problème, ne nous a-t-il pas été transmis par les anciens qui ont, sous le voile de la poésie, dissimulé à la foule que les générateurs de toutes choses, l’Océan et Téthys, sont des courants et que rien n’est stable ? C’est ce que les modernes, plus savants, démontrent ouvertement, afin que les cordonniers mêmes qui les auront entendus se pénètrent de leur sagesse et cessent de croire sottement qu’une partie des êtres est en repos et l’autre en mouvement et qu’ayant appris que tout se meut, ils révèrent leurs maîtres.

Mais j’ai failli oublier, Théodore, que d’autres se sont déclarés pour l’opinion contraire, et disent par exemple que « Immobile est le nom du Tout[1] ». Il faut aussi rappeler toutes les protestations élevées contre tous ces gens-là par les Mélissos et les Parménide[2], qui soutiennent énergiquement que tout est un et se tient immobile en lui-même, n’ayant pas de place où se mouvoir. Quel parti prendrons-nous donc, ami, à l’égard de tous ces philosophes ? En nous avançant peu à peu, nous sommes tombés sans nous en douter au milieu des uns et des autres, et, si nous ne trouvons pas le moyen de nous défendre et de nous échapper, nous en porterons la peine, comme ceux qui jouent aux barres dans les palestres, quand, pris par les deux partis, ils sont tiraillés des deux côtés à la fois. Il faut donc, à mon avis, examiner d’abord les premiers, ceux par qui nous avons commencé, les partisans du flux. Si leur doctrine nous paraît solide, nous seconderons leurs efforts pour nous tirer à eux et nous tâcherons d’échapper aux autres. Mais si ceux qui immobilisent le tout semblent dire plus vrai, nous fuirons chez eux pour échapper à ceux qui meuvent ce qui est immuable. Enfin, si nous trouvons que ni les uns ni les autres ne disent rien de raisonnable, nous nous donnerons le ridicule de croire qu’en dépit de notre médiocrité, nous pensons juste, après

  1. Citation tirée de Parménide, mais dont le texte est incertain.
  2. Mélissos et Parménide sont, avec Zénon, les représentants les plus illustres de l’école d’Elée, partisans de l’unité et de l’immobilité du monde.