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le prescrivait notre plaidoyer pour Protagoras, et examiner cette mouvante réalité et frapper sur elle, pour savoir si elle rend un son plein ou fêlé. La bataille engagée sur elle n’est pas de peu d’importance et n’a pas mobilisé peu de combattants.

THÉODORE

XXVII. — Il s’en faut de beaucoup qu’elle soit sans importance ; en Ionie, au contraire, elle prend des proportions considérables. Car les partisans d’Héraclite mènent la lutte pour sa doctrine avec une grande vigueur.

SOCRATE

Raison de plus pour nous, mon cher Théodore, d’en reprendre l’examen dès le début, comme ils nous la présentent.

THÉODORE

C’est absolument ce qu’il faut faire ; car de discuter, Socrate, sur ces doctrines d’Heraclite, ou, comme tu dis, d’Homère, ou de sages encore plus anciens, avec les gens mêmes d’Ephèse[1] qui se donnent pour habiles, c’est tout aussi impossible que de discuter avec des furieux. On peut dire en effet qu’ils sont, à l’unisson de leurs écrits, en perpétuel mouvement. S’arrêter sur une matière et une question, répondre et interroger paisiblement tour à tour, il n’est rien dont ils soient moins capables ; le mot rien est même insuffisant pour exprimer le manque absolu de tranquillité chez ces gens-là. Quelle que soit la question que tu leur poses, ils tirent comme d’un carquois de petits mots énigmatiques qu’ils te décochent, et, si tu leur demandes d’expliquer ce qu’ils ont dit, tu es aussitôt frappé d’un autre trait, sous la forme d’un nouveau mot. Tu n’arriveras jamais à aucune conclusion avec aucun d’eux, pas plus d’ailleurs qu’eux-mêmes entre eux. Ils ont grand soin de ne rien laisser se fixer soit dans leurs discours, soit dans leurs esprits, persuadés, ce me semble, qu’il y aurait là quelque chose de stable ; or, c’est à quoi ils font une guerre sans merci et ce qu’ils bannissent de partout autant qu’ils le peuvent.

SOCRATE

Peut-être, Théodore, as-tu vu ces hommes en train de batailler et ne t’es-tu pas trouvé avec eux, quand ils conversaient en paix ; car ils ne sont point tes amis. Mais je m’imagine qu’ils exposent à loisir leurs théories aux élèves qu’ils veulent former à leur image.

THÉODORE
  1. Héraclite était né et avait fleuri à Ephèse.