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compact, lisse, brillant et doux et amer à la fois, afin que la puissance des pensées qui jaillissent de l’intelligence allât s’y réfléchir comme sur un miroir qui reçoit des empreintes et produit des images visibles. Elle pourrait ainsi faire peur à l’âme appétitive, lorsque, faisant usage d’une partie de l’amertume qui lui est congénère, elle se présente, terrible et menaçante, et que, la mêlant vivement à travers tout le foie, elle y fait apparaître des couleurs bilieuses, qu’en le contractant, elle le rend tout entier ridé et rugueux, et qu’en courbant et ratatinant le lobe qui était droit et en obstruant et fermant les réservoirs et les portes du foie, elle cause des douleurs et des nausées. Mais, lorsqu’un souffle doux, venu de l’intelligence, peint sur le foie des images contraires et apaise son amertume, en évitant d’agiter et de toucher ce qui est contraire à sa propre nature, lorsqu’il se sert pour agir sur l’âme appétitive d’une douceur de même nature que celle du foie, qu’il restitue à toutes ses parties leur attitude droite, leur poli et leur liberté, il rend joyeuse et sereine la partie de l’âme logée autour du foie et lui fait passer honorablement la nuit en la rendant capable d’user, pendant le sommeil, de la divination, parce qu’elle ne participe ni à la raison ni à la sagesse.

C’est ainsi que ceux qui nous ont formés, fidèles à l’ordre de leur père, qui leur avait enjoint de rendre la race mortelle aussi parfaite qu’ils le pourraient, améliorèrent même cette pauvre partie de notre être en y mettant l’organe de la divination, pour qu’elle pût toucher en quelque manière à la vérité. Ce qui montre bien que Dieu a donné la divination à l’homme pour suppléer à la raison, c’est qu’aucun homme dans son bon sens n’atteint à une divination inspirée et véridique ; il ne le peut que pendant le sommeil, qui entrave la puissance de l’esprit, ou quand sa raison est égarée par la maladie ou l’enthousiasme. C’est à l’homme dans son bon sens qu’il appartient de se rappeler et de méditer les paroles prononcées en songe ou dans l’état de veille par la puissance divinatoire ou par l’enthousiasme, de soumettre à l’épreuve du raisonnement toutes les visions aperçues et de chercher comment et à qui elles annoncent un mal ou un bien futur, passé ou présent. Mais quand un homme est dans le délire et qu’il n’en est pas encore revenu, ce n’est pas à lui à juger ses propres visions et ses propres paroles et le vieux dicton a raison qui affirme qu il n’appartient qu’au sage de faire ses propres affaires et de se connaître soi-même. C’est pourquoi la loi a institué la race des prophètes pour juger les prédictions inspirées par les dieux. On leur donne parfois le nom de devins : c’est ignorer totalement qu’ils sont des interprètes des paroles et des visions mystérieuses, mais non pas des devins : le nom qui leur convient le mieux est celui de prophètes des choses révélées par la divination.

Timée/C