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dieux. Voilà ce que je déclare être le plus grand bienfait de la vue. A quoi bon vanter les autres, de moindre importance ? Seul, celui qui n’est pas philosophe peut gémir et se lamenter vainement d’en être privé par la cécité. Pour nous, disons que la cause de ce grand bien est celle-ci Dieu a inventé et nous a donné la vue, afin qu’en contemplant les révolutions de l’intelligence dans le ciel, nous les appliquions aux révolutions de notre propre pensée, qui, bien que désordonnées, sont parentes des révolutions imperturbables du ciel, et qu’après avoir étudié à fond ces mouvements célestes et participé à la rectitude naturelle des raisonnements, nous puissions, en imitant les mouvements absolument invariables de la divinité, stabiliser les nôtres, qui sont sujets à l’aberration.

Il faut répéter la même chose au sujet de la voix et de l’ouïe : c’est en vue du même objet et pour les mêmes raisons que les dieux nous les ont données. En effet la parole nous a été octroyée pour la même fin et elle contribue dans la plus large mesure à nous la faire atteindre, et toute cette partie de la musique consacrée à l’audition de la voix nous a été donnée en vue de l’harmonie. Et l’harmonie, dont les mouvements sont apparentés aux révolutions de l’âme en nous, a été donnée par les Muses à l’homme qui entretient avec elles un commerce intelligent, non point en vue d’un plaisir irraisonné, seule utilité qu’on lui trouve aujourd’hui, mais pour nous aider à régler et à mettre à l’unisson avec elle-même la révolution déréglée de l’âme en nous. Les mêmes déités nous ont donné aussi le rythme pour remédier au défaut de mesure et de grâce dans le caractère de la plupart des hommes.

Dans ce que nous avons dit jusqu’ici, sauf quelques détails, il n’a été question que des opérations de l’intelligence. Il faut ajouter à notre exposition ce qui naît par l’action de la nécessité ; car la génération de ce monde est le résultat de l’action combinée de la nécessité et de l’intelligence. Toutefois l’intelligence a pris le dessus sur la nécessité en lui persuadant de diriger au bien la plupart des choses qui naissent. C’est ainsi et sur ce principe que cet univers fut façonné dès le commencement par la nécessité cédant à la persuasion de la sagesse. Si donc nous voulons réellement dire comment il est né d’après ce principe, il faut faire intervenir l’espèce de la cause errante et sa propriété de produire du mouvement. Il faut donc reprendre le sujet comme je vais dire : il faut trouver un autre point de départ qui convienne à ce sujet spécial et, comme nous l’avons fait pour ce qui précède, remonter à l’origine. Il faut examiner quelle était, avant la naissance du ciel, la nature même du feu, de l’eau, de l’air et de la terre, et quelles étaient leurs propriétés avant ce temps. Car jusqu’ici personne ne nous a expliqué leur génération, mais comme si nous savions ce que peuvent être le feu et