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les règles écrites, alors que c’est au contraire la passion ou l’ignorance qui inspirent son imitation, est-ce qu’il ne faut pas alors nommer tyrans tous les chefs de cette sorte ?

SOCRATE LE JEUNE

Sans aucun doute.

L’ÉTRANGER

XL. — Voilà donc, disons-nous, comment sont nés le tyran, le roi, l’oligarchie, l’aristocratie et la démocratie : leur origine est la répugnance que les hommes éprouvent pour ce monarque unique que nous avons dépeint. Ils ne croient pas qu’il puisse jamais y avoir un homme qui soit digne d’une telle autorité et qui veuille et puisse gouverner avec vertu et science, dispensant comme il faut la justice et l’équité à tous ses sujets. Ils croient au contraire qu’il outragera, tuera, maltraitera tous ceux de nous qu’il lui plaira. S’il y avait, en effet, un monarque tel que nous disons, il serait aimé et vivrait heureux en administrant le. seul Etat qui soit parfaitement bon.

SOCRATE LE JEUNE

Comment en douter ?

L’ÉTRANGER

Mais, puisqu’en fait, comme nous le disons, il ne naît pas dans les Etats de roi comme il en éclôt dans les ruches, doué dès sa naissance d’un corps et d’un esprit supérieurs, nous sommes, à ce qu’il semble, réduits à nous assembler pour écrire des lois, en suivant les traces de la constitution la plus vraie.

SOCRATE LE JEUNE

Il y a des chances qu’il en soit ainsi.

L’ÉTRANGER

Nous étonnerons-nous donc, Socrate, de tous les maux qui arrivent et ne cesseront pas d’arriver dans de tels gouvernements, lorsqu’ils sont basés sur ce principe qu’il faut conduire les affaires suivant les lois écrites et les coutumes, et non sur la science, alors que chacun peut voir que, dans tout autre art, le même principe ruinerait toutes les oeuvres ainsi produites ? Ce qui doit plutôt nous étonner, n’est-ce pas la stabilité inhérente à la nature de l’Etat ? Car, malgré ces maux qui rongent les Etats depuis un temps infini, quelques-uns d’entre eux ne laissent pas d’être stables et ne sont pas renversés. Mais il y en a beaucoup qui, de temps à autre, comme des vaisseaux qui sombrent, périssent, ont péri et périront par l’incapacité de leurs pilotes et de leur équipage, lesquels témoignent sur les matières les plus importantes la plus grande ignorance et,