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Il en demeura d’accord.

— Mais ce qui fait qu’ils sont lâches, tu reconnais que c’est la lâcheté ?

Il en convint.

— Ainsi l’ignorance des choses qui sont à craindre et des choses qui ne le sont pas serait la lâcheté ?

Il fit signe que oui.

— Mais le courage, repris-je, est le contraire de la lâcheté ?

— Oui.

— La science des choses à craindre et de celles qui ne le sont pas n’est-elle pas le contraire de l’ignorance de ces mêmes choses ?

Ici encore il fit un signe d’assentiment.

— Et l’ignorance de ces choses est la lâcheté ? Ici, c’est à grand-peine qu’il fit signe que oui.

— La science des choses à craindre et de celles qui ne le sont pas est donc le courage, qui est le contraire de l’ignorance de ces mêmes choses ?

Ici il ne voulut plus répondre ni par geste ni par mot.

— Je lui dis alors : Hé quoi ! Protagoras, tu ne réponds ni oui ni non à mes questions.

— Conclus toi-même, dit-il.

— Je n’ai plus, dis-je, qu’une question à te poser : Crois-tu encore, comme tu le croyais d’abord, qu’il y a des hommes très ignorants qui cependant sont très braves.

Il répondit : Tu t’obstines, Socrate, ce me semble, à vouloir que ce soit moi qui réponde ; je te ferai donc ce plaisir, et je t’avoue que, d’après les principes dont nous sommes convenus, cela me paraît impossible.

XL. — Je t’affirme, dis-je, que je n’ai d’autre but en te faisant toutes ces questions que d’examiner les problèmes relatifs à la vertu et ce qu’est la vertu en elle-même. Car je suis persuadé que ce point éclairci jetterait une vive lumière sur l’objet de la longue discussion que nous venons d’avoir ensemble, moi prétendant que la vertu ne saurait être enseignée, toi, qu’elle peut l’être. Et il me semble que la conclusion dernière de notre discussion s’élève contre nous, comme une personne, et se moque de nous, et que, si elle pouvait parler, elle nous dirait : Vous êtes bien inconséquents, Socrate et Protagoras : toi qui soutenais d’abord que la vertu ne saurait s’enseigner, tu t’empresses maintenant de te contredire en t’évertuant à démontrer que tout est science, et la justice, et la tempérance, et le courage, d’où il résulterait que la vertu peut fort bien s’enseigner. Si, en effet, la vertu était autre chose que la science, comme Protagoras a tâché de le prouver, il est clair qu’elle ne saurait être enseignée. Si au contraire elle se ramène exactement à la science, comme tu as à cœur