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XXXVII. — Le ridicule de ces assertions apparaîtra, si nous cessons d’employer plusieurs termes à la fois, l’agréable et le désagréable, le bien et le mal. Puisque nous avons fait voir que ces choses se ramènent à deux, servons-nous aussi de deux termes pour les désigner appelons-les d’abord le bien et le mal ; nous les appellerons ensuite l’agréable et le désagréable. Cela posé, disons qu’un homme connaissant que le mal est le mal ne laisse pas de le faire. Si quelqu’un nous demande pourquoi : Parce qu’il est vaincu, dirons-nous. Par quoi ? demandera-t-il. Nous ne pouvons plus répondre : par le plaisir ; car nous avons donné au plaisir un autre nom, celui de bien. Nous répondrons donc en disant qu’il est vaincu. — Vaincu par quoi ? dira-t-il. — Par le bien. Telle sera, par Zeus, notre réponse. Si notre questionneur aime la moquerie, il nous rira au nez et dira : Il y a de quoi rire à vous entendre affirmer que, lorsqu’un homme fait le mal, quoiqu’il sache que c’est le mal et puisse s’empêcher de le faire, il est vaincu par le bien. Est-ce qu’à vos yeux le bien n’a pas assez de valeur pour vaincre le mal ou en a-t-il assez ? — Nous répondrons évidemment : Il n’en a pas assez ; autrement celui que nous disons être vaincu par le plaisir n’aurait pas commis de faute. Mais qu’est-ce qui fait, dira-t-il, que les biens n’ont pas assez de valeur pour l’emporter sur les maux, ou les maux sur les biens ? N’est-ce pas que les uns sont plus grands et les autres plus petits, ou les uns plus nombreux et les autres moins nombreux ? Nous ne trouverons pas d’autre raison que celle-là. Il est donc évident, dira-t-il, que ce que vous appelez être vaincu, c’est choisir des maux plus grands à la place de bien plus petits. Voilà un point acquis.

Changeons maintenant les termes, et, appliquant aux mêmes choses ceux d’agréable et de désagréable, disons L’homme fait — nous disions tout à l’heure : le mal — disons maintenant : des choses désagréables, sachant qu’elles sont désagréables, parce qu’il est vaincu par les choses agréables, qui évidemment n’ont pas assez de valeur pour vaincre. Et quelle autre disproportion de valeur y a-t-il entre les plaisirs et les douleurs, sinon l’excès et le défaut des uns par rapport aux autres, les uns étant plus grands ou plus petits, plus nombreux ou moins nombreux, plus forts ou plus faibles que les autres ? Si l’on objecte : Mais, Socrate, le plaisir présent diffère grandement du plaisir ou de la douleur à venir.

— Diffèrent-ils, répondrai-je, par autre chose que le plaisir et la douleur ? Ils ne peuvent en effet différer que par là. Dès lors, comme un homme qui s’entend à peser, mets d’un côté de la balance les choses agréables, de l’autre, les choses désagréables, ajoutes-y d’un côté les choses qui sont proches, de l’autre les choses qui sont éloignées, et