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forme de la science. Il se figure qu’elle n’est ni forte, ni capable de guider et de commander ; au lieu de lui reconnaître ces qualités, il est persuadé que souvent la science a beau se trouver dans un homme, ce n’est point elle qui le gouverne, mais quelque autre chose, tantôt la colère, tantôt le plaisir, tantôt la douleur, quelquefois l’amour, souvent la crainte. Il regarde tout bonnement la science comme une esclave que toutes les autres choses traînent à leur suite. T’en fais-tu la même idée, ou juges-tu qu’elle est une belle chose, capable de commander à l’homme, que lorsqu’un homme a la connaissance du bien et du mal, rien ne peut le vaincre et le forcer à faire autre chose que ce que la science lui ordonne, et que l’intelligence est pour l’homme une ressource qui suffit à tout ?

— Je pense de la science tout ce que tu en dis, Socrate, répondit-il, et il serait honteux à moi plus qu’à tout autre de ne pas reconnaître que la sagesse et la science sont ce qu’il y a de plus fort parmi toutes les choses humaines.

— Ta réponse est belle et juste, lui dis-je ; mais tu n’ignores pas que la plupart des hommes ne sont ni de ton avis, ni du mien, et qu’ils prétendent qu’on a souvent beau connaître ce qui est le meilleur, on ne veut pas le faire, bien qu’on le puisse, et on fait tout autre chose. Tous ceux à qui j’ai demandé la cause d’une telle conduite répondent que ce qui fait qu’on agit de la sorte, c’est qu’on cède au plaisir ou à la douleur ou à quelqu’une des passions dont je parlais tout à l’heure, et qu’on se laisse vaincre par elles.

— Vraiment, Socrate, dit-il, il y a bien d’autres choses sur lesquelles les hommes n’ont pas des idées justes.

— Eh bien ! essaye avec moi de les détromper et de leur apprendre ce qu’est réellement ce phénomène qui consiste pour eux à être vaincus par le plaisir et par suite à ne pas faire ce qui est le meilleur, bien qu’ils le connaissent. Peut-être que, si nous leur disions : O hommes, vous êtes à côté de la vérité, vous vous abusez, ils nous demanderaient : Protagoras et Socrate, si ce n’est point là être vaincu par le plaisir, qu’est-ce donc alors, et quelle est votre opinion là-dessus ? dites-la-nous.

— Quoi ! Socrate, faut-il nous arrêter à examiner l’opinion de la foule, qui dit sans réflexion ce qui lui vient à l’esprit ?

— Je pense, repris-je, que cela n’est pas sans importance pour découvrir le rapport du courage aux autres parties de la vertu. Si donc tu crois devoir t’en tenir à ce dont nous sommes convenus tout à l’heure et te laisser guider dans la voie qui me paraît la meilleure pour arriver à la lumière, suis-moi ; autrement, si tel est ton plaisir, j’en resterai là.

— Tu as raison, dit-il, achève comme tu as commencé.