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interlocuteurs impartialement, mais non également, car ce n’est pas la même chose ; il faut prêter à l’un et à l’autre une oreille impartiale, mais non tenir la balance égale entre eux ; il faut accorder davantage au plus habile et moins au plus ignorant. Moi aussi, Protagoras et Socrate, je vous en prie, mettez-y de la complaisance, et discutez ensemble sans vous quereller : discuter, tout en restant bienveillants, c’est le fait de gens amis ; se quereller est le fait d’adversaires et d’ennemis. En m’écoutant, vous nous donneriez le spectacle de la plus belle discussion, et ce serait pour vous qui parlez le meilleur moyen d’obtenir de nous qui écoutons, je ne dirai pas la louange, mais l’approbation ; car l’approbation réside dans les âmes des auditeurs et ne trompe pas ; la louange, sur les lèvres de gens qui souvent mentent et déguisent leur opinion ; et ce serait aussi pour nous, les auditeurs, le meilleur moyen d’en tirer, non du plaisir, mais de la joie ; car la joie est la satisfaction de l’esprit seul qui apprend et qui acquiert la sagesse, et le plaisir est la satisfaction du corps seul, quand il mange ou éprouve quelque autre sensation agréable.

Ce discours de Prodicos reçut un bon accueil d’une bonne partie des assistants.

XXIV. — Après Prodicos, le savant Hippias tint ce discours : Vous qui êtes ici présents, je vous regarde tous comme parents, alliés, concitoyens, non par la loi, mais par la nature ; car le semblable est naturellement parent du semblable ; mais la loi, tyran des hommes, fait souvent violence à la nature. Aussi serait-ce une honte pour nous, qui connaissons la nature des choses, qui sommes les plus savants des Grecs et qui, à ce titre, avons pris, dans la Grèce, pour lieu de rendez-vous, le prytanée même de la sagesse, et dans cette ville, la maison la plus considérable et la plus opulente, de ne rien dire qui soit digne de notre réputation, et de nous quereller les uns avec les autres, comme les derniers des hommes. Je vous conjure donc et vous conseille, Protagoras et Socrate, de vous accommoder et de vous en rapporter à nous, comme à des arbitres qui vous engagent à prendre un milieu : toi, Socrate, ne sois pas trop exigeant sur la forme rigoureuse du dialogue à la manière concise, si elle ne plaît pas à Protagoras ; mais détends et lâche les rênes à tes paroles, afin qu’elles nous apparaissent plus magnifiques et plus belles ; et toi, de ton côté, Protagoras, ne mets pas toutes voiles dehors, et, te laissant emporter par le vent favorable, ne fuis pas vers la haute mer de l’éloquence jusqu’à perdre de vue la terre ; mais prenez l’un et l’autre la route intermédiaire. Voilà ce que vous ferez, et vous choisirez, si vous m’en croyez, un juge, un président, un prytane qui veillera à la juste mesure de vos discours à tous deux.