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— Etre prudent, n’est-ce pas, selon toi, penser bien ?

— Si.

— Penser bien, n’est-ce pas prendre le bon parti en commettant l’injustice ?

— Admettons-le, répondit-il.

— Mais, dis-je, prend-on le bon parti quand on réussit en commettant l’injustice, ou quand on ne réussit pas ?

— Quand on réussit.

— Tu penses donc qu’il y a des choses bonnes ?

— Oui.

— Ces choses bonnes, repris-je, sont-elles celles qui sont utiles aux hommes ?

— Oui, par Zeus, répliqua-t-il ; mais j’appelle aussi bonnes des choses qui ne sont pas utiles aux hommes.

Il me parut que Protagoras était à présent agacé, ennuyé et gêné de répondre. Le voyant en cet état, je le ménageai et l’interrogeai avec douceur : Entends-tu par là, Protagoras, dis-je, des choses qui ne sont utiles à personne, ou des choses qui n’ont même pas d’utilité du tout ? Et accordes-tu aussi le nom de bonnes à des choses de cette sorte ?

— Pas du tout, dit-il ; mais je sais, moi, beaucoup de bonnes choses qui sont préjudiciables aux hommes, comme certains aliments, breuvages, drogues et quantité d’autres choses, d’autres qui leur sont utiles, et d’autres qui leur sont indifférentes, mais qui sont bonnes pour les chevaux. J’en sais qui sont utiles aux boeufs seulement, d’autres aux chiens. Telles qui ne sont utiles à aucun des animaux, le sont aux arbres ; et dans l’arbre, certaines sont bonnes aux racines, mauvaises aux jeunes pousses ; ainsi le fumier est bon à toutes les plantes, si on le met aux racines ; mais si on veut en couvrir les rejetons et les jeunes pousses, c’est pour gâter tout. De même l’huile est tout à fait pernicieuse à toutes les plantes, et c’est la grande ennemie des poils chez tous les animaux, sauf chez l’homme, où elle leur est salutaire, comme elle l’est à tout le corps. Le bon est quelque chose de si varié et de si divers que, même dans le corps de l’homme, l’huile n’est bonne que pour l’usage externe, et qu’elle est très mauvaise pour l’usage interne. Voilà pourquoi tous les médecins interdisent aux malades l’usage de l’huile ; ils ne leur en laissent absorber qu’à très petite dose, juste assez pour chasser l’impression désagréable que font les aliments et les viandes sur le sens de l’odorat.

XXII. — Ce discours fini, les assistants applaudirent à grand bruit à l’éloquence de Protagoras. Pour moi, je lui dis : La nature, Protagoras, m’a donné peu de mémoire, et quand on me tient de longs discours, je perds de vue le sujet de la discussion. Si j’étais dur d’oreille, tu penserais qu’il faut, pour s’entretenir avec moi, parler plus haut