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ne nous trompe comme ceux qui trafiquent des aliments du corps, marchands et détaillants ; ceux-ci en effet ignorent ce qui, dans les denrées qu’ils colportent, est bon ou mauvais pour le corps ; mais ils n’en vantent pas moins toute leur marchandise, et leurs acheteurs ne s’y connaissent pas mieux, à moins qu’il ne s’y trouve quelque maître de gymnastique ou quelque médecin. Il en est de même de ceux qui colportent les sciences de ville en ville, qui les vendent et les détaillent ; ils ne manquent jamais de vanter aux amateurs tout ce qu’ils vendent ; mais il peut se faire, mon bon ami, qu’un certain nombre d’entre eux ignorent ce qui dans leurs marchandises est bon ou mauvais pour l’âme, et leurs acheteurs l’ignorent aussi, à moins qu’il ne s’y trouve quelque médecin de l’âme. Si donc tu sais ce qu’il y a dans ces marchandises de bon ou de mauvais pour l’âme, tu peux sans danger acheter les sciences et à Protagoras et à tout autre ; sinon, prends garde, bon jeune homme, de hasarder sur un coup de dés ce que tu as de plus cher ; car le danger est beaucoup plus grand dans l’achat des sciences que dans l’achat des aliments ; si en effet on achète des vivres et des boissons à un détaillant ou à un marchand, on peut les emporter dans les vases appropriés, et, avant de les introduire dans le corps en les buvant et en les mangeant, on peut les déposer chez soi, consulter, et faire appel à quelqu’un qui sait ce qu’il faut manger ou boire, et ce qu’il ne faut pas, combien il faut en prendre, et à quel moment, de sorte qu’on ne court pas grand danger à les acheter ; mais les sciences, on ne peut les emporter dans un autre vase, il faut, le prix payé, loger dans son âme même la science qu’on apprend et s’en aller, empoisonné ou conforté. Examinons donc la question avec des gens plus vieux que nous ; car nous sommes encore jeunes pour trancher une affaire si importante. Mais à présent, puisque nous sommes en train, allons écouter cet homme, puis nous communiquerons à d’autres ce que nous aurons entendu. Aussi bien Protagoras n’est pas tout seul là-bas ; nous trouverons avec lui Hippias d’Elis et, je crois aussi, Prodicos de Céos et plusieurs autres sages.

VI. — Cette résolution prise, nous partons. Arrivés au vestibule, nous nous sommes arrêtés ; nous étions en train de discuter sur un sujet sur lequel nous étions tombés chemin faisant ; ne voulant pas rester au milieu de notre discussion et entrer sans l’avoir épuisée, nous l’avons continuée, debout, dans le vestibule, jusqu’à ce que nous soyons tombés d’accord. Je crois bien que le portier, un eunuque, nous entendait, et il semble qu’à voir tant de sophistes il avait pris de l’humeur contre les visiteurs ; car à peine avons-nous frappé à la porte et nous a-t-il ouvert, qu’en nous apercevant il s’écrie :