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ce que je dis, si la vertu consiste uniquement à sauver sa personne et ses biens, quoi qu’on vaille d’ailleurs, tu es ridicule de dénigrer le machiniste, le médecin et les autres arts qui ont été inventés pour nous sauver. Vois plutôt, mon bienheureux ami, si la noblesse de l’âme et le bien ne seraient pas autre chose que de sauver les autres et se sauver soi-même du péril. Car de vivre plus ou moins longtemps, c’est, sois‑en sûr, un souci dont l’homme véritablement homme doit se défaire. Au lieu de s’attacher à la vie, il doit s’en remettre là‑dessus à la Divi­nité et croire, comme disent les femmes, que personne au monde ne saurait échapper à son destin 41; puis chercher le moyen de vivre le mieux possible le temps qu’il a à vivre. Faut‑il pour cela s’adapter à la constitution politique du pays qu’on habite ? En ce cas, tu devrais toi-même te rendre aussi semblable que possible au peuple d’Athènes, si tu veux en être aimé et devenir puissant dans l’État. Vois si c’est là ton avantage et le mien, afin, mon noble ami, que nous n’éprouvions pas ce qui arrive, dit‑on, aux Thessaliennes 42 qui attirent la lune à elles ; car c’est aux dépens de ce que nous avons de plus cher que nous atti­rerons à nous cette grande puissance dans l’État. Mais si tu crois que quelqu’un au monde te transmettra un moyen quelconque de te rendre puissant dans la cité, si tes mœurs diffèrent de sa constitution, soit en bien soit en mal, c’est qu’à mon avis, tu raisonnes mal, Calliclès. Ce qu’il faut, ce n’est pas les imiter, c’est leur ressembler naturellement, si tu veux effectivement réussir à gagner l’amitié du Démos d’Athènes et aussi, par Zeus, celle de Démos, fils de Pyrilampe. C’est donc celui qui te rendra tout à fait pareil à eux qui fera de toi, comme tu le désires, un politique et un orateur. Chacun d’eux aime les discours qui s’accordent à son caractère ; mais ce qui lui est étran­ger leur déplaît, à moins, chère tête, que tu ne sois d’un autre avis. Avons‑nous quelque objection, Calliclès ?

CALLICLÈS

LXIX. — Je ne sais comment il se fait que tu me parais avoir raison, Socrate. Cependant, je suis comme la plupart de tes auditeurs, je ne te crois qu’à demi.

SOCRATE

C’est que l’amour du peuple implanté dans ton âme, Calliclès, combat contre moi ; mais si nous revenons sur ces mêmes questions pour les approfondir, peut‑être te rendras‑tu. Quoi qu’il en soit, rappelle‑toi que nous avons dit qu’il y a deux façons de cultiver chacune de ces deux choses, le corps et l’âme, l’une qui s’en occupe en vue du plaisir, et l’autre qui s’en occupe en vue du bien et qui, sans chercher à plaire, y applique tout son effort. N’est‑ce pas la distinction que nous avons faite alors ?