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HIPPARQUE OU L’HOMME CUPIDE

au lieu de ἡδύς[1]. Cette seule raison paraîtrait néanmoins bien fragile pour rayer un dialogue quelconque du corpus platonicum. Il n’est, en effet, nullement impossible que Platon ait ainsi détourné ironiquement dans un sens moral le terme γλυκύς. La remarque de Wilamowitz nous permet toutefois de signaler encore cette conformité de vocabulaire entre Hipparque et Hippias Majeur.

Ces ressemblances restent cependant superficielles et ne suffisent pas à décider de l’authenticité. Mais que l’on compare notre dialogue avec les premiers écrits de Platon auxquels il s’apparente. Les contrastes apparaîtront avec trop d’évidence pour qu’on se hasarde à imputer les deux œuvres au même écrivain. Le simple choix du titre révèle déjà un procédé peu habituel à Platon. Aucun des dialogues manifestement authentiques n’est désigné par le nom d’un personnage étranger à la discussion. Mais surtout, quelles différences dans la mise en scène ou dans l’art de présenter les personnages ! Les dialogues socratiques constituent de véritables petits drames où les interlocuteurs sont tout autre chose que des figurants dont le rôle consiste à donner la réplique. Les caractères se dessinent assez nettement pour maintenir l’intérêt jusqu’au bout. Socrate, ironiste avec ses adversaires, éveilleur d’esprit avec ses élèves, stimule, cherche, suggère, sans jamais imposer ses réponses. Avec habileté, il ménage les digressions brillantes qui reposeront des virtuosités dialectiques. Et quand, au terme de la controverse, on se trouve frustré de solutions positives, quand on entend les aveux d’ignorance de ceux qui s’imaginaient savoir, tout aussi bien que de Socrate, on comprend néanmoins que des progrès véritables ont été réalisés : les pseudo-connaissances éliminées, les éléments eux-mêmes d’une explication satisfaisante dégagés, on est orienté sur la voie d’une vraie science. Dans l’Hipparque, rien de semblable. Les deux personnages sont, en somme, assez insignifiants ; la discussion se poursuit, monotone et très sophistique, coupée simplement par l’épisode historique qui produit l’effet d’une pièce rapportée. Socrate n’est pas le chercheur des premiers dialogues platoniciens, mais plutôt le pédagogue qui souffle la réponse au disciple toujours docile. Enfin, la discussion se clôt sur une conclusion de

  1. Platon II, p. 416, note 1.