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CLITOPHON

Clitophon. — Écoute donc ! Quand je te fréquentais, Socrate, j’ai souvent été frappé en t’écoutant, et tu me semblais parler le plus éloquemment du monde, lorsque, adressant des reproches aux hommes, comme un dieu sur la scène[1], tu déclamais en ces termes : « Où vous laissez-vous emporter, mortels ? Ignorez-vous que vous ne faites rien de ce qu’il faudrait, vous dont tout le souci est de chercher à vous procurer des richesses ? bQuant à vos fils à qui vous les transmettrez, vous ne vous préoccupez pas s’ils sauront en user justement, vous ne cherchez pas pour eux des maîtres qui leur enseignent la justice, si toutefois on peut l’enseigner, — ou si on ne l’acquiert que par l’exercice et la pratique[2], des maîtres qui les exercent et les dressent avec soin ; — du reste, de vous tout d’abord, vous n’avez eu également aucun souci. Mais quand vous voyez que vous avez été, vous et vos enfants, très convenablement instruits, cdans les lettres, la musique, la gymnastique, — ce qui est pour vous la parfaite formation à la vertu —, et que cependant vous n’en êtes pas devenus meilleurs en ce qui concerne l’usage des richesses, comment ne méprisez-vous pas l’éducation actuelle et ne cherchez-vous pas des maîtres qui fassent cesser pareil désaccord ? Ah ! certes, c’est bien à cause de cette négligence coupable et de cette indifférence, et non pour une mesure boiteuse en musique, que les hommes, frère contre frère, ville contre ville, sans mesure et sans accord, dse combattent mutuellement et par leurs luttes se font les uns aux autres les pires maux. Mais vous prétendez que ce n’est pas par manque d’éducation, ni par ignorance, mais volontairement,

  1. C’est littéralement le deus ex machina. L’auteur fait allusion aux apparitions des dieux sur le théâtre. Ces manifestations soudaines étaient ménagées par les poètes tragiques, soit pour amener le dénouement de la pièce, soit pour causer l’admiration des spectateurs (cf. scholie). Elles étaient produites au moyen d’une sorte de grue (γερανός ou μηχανή) qui élevait dans les airs le dieu ou le héros et le faisait apparaître sous cet aspect merveilleux. Euripide a usé du procédé dans plus de la moitié de ses pièces (cf. O. Navarre, Machina, in Dictionnaire d’Aremberg et Saglio, III, 2, 1461 et suiv.).
  2. Un peu plus loin (408 b), Clitophon attribue, au contraire, à Socrate, l’affirmation très catégorique, et non plus hypothétique, que la vertu peut s’enseigner. Mais ces apories étaient des lieux communs dans les écoles de rhéteurs.