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LES RIVAUX

Alors je lui demandai s’il n’était pas impossible pour le même homme d’apprendre seulement deux arts de cette façon, à plus forte raison un grand nombre et des arts importants. Mais lui : « Ne t’imagine pas, Socrate, répondit-il, que je veuille dire que celui qui cultive la philosophie doive posséder de chacun de ces arts une connaissance aussi minutieuse que l’aurait le professionnel. dIl doit en savoir ce qui convient à un homme libre et instruit, pour pouvoir suivre les explications de l’homme de métier mieux que tous ceux qui l’écoutent et être capable de développer son avis de manière à paraître le plus fin connaisseur et le plus avisé parmi tous ceux qui assistent à quelque leçon sur les arts ou les voient mettre en pratique ».

Et moi, ne comprenant pas encore ce qu’il voulait dire, je lui demandai : « Est-ce que je comprends bien ce que tu entends par le philosophe ? eTu m’as l’air de le rapprocher de ce que sont dans les combats les pentathles par rapport aux coureurs et aux lutteurs[1]. Les premiers, en effet, sont inférieurs à ceux-ci dans les exercices qui leur sont propres et ils viennent après eux, mais relativement aux autres athlètes, ils tiennent le premier rang et l’emportent sur eux. Peut-être est-ce un peu cela que produit, d’après toi, la philosophie chez ceux qui en font leur occupation : ils sont intérieurs aux techniciens 136en ce qui concerne l’intelligence des arts, mais ils occupent le second rang et sont supérieurs aux profanes. Ainsi celui qui cultive la philosophie est-il en tout un homme de second ordre. C’est bien quelqu’un de ce genre que tu me parais décrire ».

« Tu me sembles avoir bien compris, Socrate, répondit-il, ce qui a trait au philosophe, en le comparant au pentathle. Il est vraiment homme à éviter de se laisser asservir par aucune chose et à ne se donner de peine pour rien avec trop de perfection, bde peur que le soin accordé à un seul objet ne

  1. Le pentathle (πένταθλον) était un exercice agonistique composé de cinq épreuves : la lutte, le saut, la course, le disque, le pugilat. Philostrate, dans son traité sur la Gymnastique, c. 3, raconte qu’avant l’époque de Jason on décernait une couronne pour chacune de ces épreuves, et toutes avaient leur spécialiste qui régulièrement remportait la victoire dans l’exercice qu’il cultivait de préférence : Télamon était le premier pour le disque ; Lyncée, pour le javelot ; les Boréades pour la course et le saut. Or Pélée était le second en tout,