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MINOS OU SUR LA LOI

pour s’instruire, soit pour enseigner ensuite aux autres ce que dans cette dernière période il avait appris de Zeus. Il y en a qui comprennent par le mot ὀαριστὴς le commensal et le compagnon de jeux de Zeus. Mais voici la preuve que ceux qui l’entendent ainsi ne disent 320rien qui vaille : dans cette multitude de peuples grecs et barbares, il n’en est aucun qui s’abstienne des banquets et de ces sortes de plaisirs où paraît le vin, sauf les Crétois et, en second lieu, les Lacédémoniens, qui ont reçu cette tradition des Crétois[1]. En Crète, parmi les lois portées par Minos, il en est une ainsi formulée : ne pas boire jusqu’à l’ivresse dans les réunions. Or, évidemment, c’est ce qu’il jugeait lui-même honnête qu’il a également prescrit dans ses lois à ses concitoyens. Minos n’a certes pas, bà l’exemple d’un homme pervers, pensé d’une façon et agi de toute autre façon qu’il ne pensait : c’était, du reste, sa manière, comme je viens de le dire, de former à la vertu par des discours. Aussi établit-il pour ses concitoyens ces lois qui ont toujours fait le bonheur de la Crète et font celui de Lacédémone depuis qu’elle a commencé à les adopter comme des lois divines[2].

Quant à Rhadamanthe, il était certainement un homme de bien, car il fut formé par Minos. Il ne fut point formé cependant à tout l’art royal, cmais à une partie auxiliaire, à savoir, la présidence des tribunaux[3]. De là provient sa réputation de bon juge. C’est à lui que Minos confia la garde des lois dans la ville ; pour le reste de la Crète, ce fut à Talos. Talos parcourait trois fois l’an les bourgs, veillant à ce qu’on y observât les lois et il portait ces lois gravées sur des tablettes de bronze, ce qui lui valut le surnom d’homme de bronze[4].

  1. Sur cette abstention des banquets et du vin, à Cnosse et à Lacédémone, cf. Lois, I, 636 et suiv. Platon blâme cette proscription absolue et veut, au contraire, qu’on utilise les banquets comme moyen d’éducation.
  2. « …Ce n’est pas sans raison que les lois de Crète sont renommées chez tous les Grecs ; elles sont bonnes, en effet, puisqu’elles rendent heureux ceux qui les observent » (Lois, I, 631 b).
  3. Cf. Politique, 305 c.
  4. Sur la légende de Talos, cf. Apollodore, Biblioth., I, 26.