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LETTRE VII

par les créateurs mêmes du langage. Or, les déterminations de ces derniers sont basées sur des hypothèses cosmogoniques et des hypothèses différentes. Aussi, tantôt les noms imitent le flux perpétuel des choses, tantôt ils sont caractérisés par un élément essentiel de stabilité, suivant qu’une théorie héraclitéenne du devenir ou une doctrine de la permanence sont à l’origine de leur formation (436 d-437 c). Comment donc, au milieu de ces incertitudes, se fier pleinement à eux pour atteindre la vérité ? (438 d). Sans doute, ce dialogue polémique est une protestation contre une méthode en faveur dans certains cercles sophistiques plus ou moins inféodés à l’héraclitéisme et dont Cratyle est ici le représentant, méthode qui consistait à préférer les discussions creuses à la réflexion ou à la contemplation directe de la réalité. Mais n’y a-t-il pas également l’aveu de cette conviction intime, encore accentuée dans la 7e Lettre, que jamais ce que l’âme voit d’une vision nette et parfaitement pure ne saura se traduire extérieurement, parce que toute expression sensible, quelle qu’elle soit, est d’une autre nature que l’Idée ? On pourrait encore citer les pages où Critias, dans le dialogue inachevé qui porte son nom, demande l’indulgence de ses auditeurs pour l’invérifiable récit d’une civilisation passée : « Au surplus, affirme-t-il, afin de vous découvrir plus clairement ma pensée, prenez garde à ceci : une imitation, une image, voilà toujours, en quelque manière, ce qu’est nécessairement tout ce que nous disons, tous tant que nous sommes » (107 b). La parole ou l’écriture restent traduction, approximation de la vérité.

On a voulu montrer ici comment une même direction de pensée inspire la lettre et les dialogues, comment le fameux passage philosophique n’est nullement une pièce rapportée. Le supprimer, au contraire, nuirait à l’enchaînement des idées. Regardera-t-on comme interpolée la digression sur les cinq éléments : nom, définition,… etc. ? Mais alors, le début du paragraphe suivant : Τούτῳ δὴ τῷ μύθῳ τε καὶ πλάνῳ… ne se comprend plus guère, car on ne voit pas bien dans ce cas en quoi aurait consisté le πλάνος. Il faudrait supposer dès lors un remaniement beaucoup plus considérable et admettre l’hypothèse de Ritter : l’interpolation s’étend à tout ce qui concerne les allusions au livre composé par Denys. On doit supprimer depuis 341 a πάντα μὲν οὖν jusqu’au récit de l’inimitié croissante entre Denys et Dion, 345 c. C’est alors