Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 1.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
liii
LETTRE VII

précisément dans les êtres se modifie continuellement. Il faudrait donc pouvoir retoucher et corriger sans cesse son langage, que l’écriture fixe et rend par conséquent inexact.

Mille motifs manifestent ainsi cette incertitude des éléments utilisés pour l’expression de la vérité, mais le principal est encore cette distinction signalée plus haut entre l’essence et la qualité : quand l’âme cherche à connaître non plus la qualité, mais ce qui est (οὐ τὸ ποιόν τι, τὸ δὲ τί), chacun de ces éléments lui présente dans les formules ou dans les images employées ce qu’elle ne cherche pas, c’est-à-dire, sans doute, le ποῖον, car les mots, les représentations, les constructions du monde sensible ne peuvent guère traduire que du particulier et du sensible, et sont de simples approximations du réel en soi. Ce qui est dit, ce qui est montré, reste donc soumis à toutes les contradictions des sens et conduit à des impasses. Aussi, dans ces matières où la mauvaise éducation produit une sorte d’insouciance d’aboutir au vrai et où on se contente des premières images venues, on ne voit pas le ridicule de ces discussions où sont rejetés et réfutés tour à tour termes employés, définitions, images, opinions émises. Platon ne songeait-il pas à ces vagues dissertations de rhéteurs dont les Δισσοὶ λόγοι nous offrent un si parfait modèle, et où l’on spécifie qu’on ne s’occupera nullement de savoir quelle est, en elle-même, l’essence de l’objet étudié, par exemple l’essence du bien et du mal, mais qu’on s’efforcera malgré tout, de montrer que les deux sont distincts[1] ? Avec une pareille méthode, on dispute à perte de vue, et toutes les raisons se valent. Veut-on, au contraire, connaître la vérité, rechercher non pas les qualités extérieures et visibles du réel (le ποῖον), mais son essence intime, ce qui le fait tel (le ὄν, le τί), comme on paraît niais à ces habiles dialecticiens qui s’imaginent réfuter l’écrivain ou l’orateur soucieux d’exprimer dans ses mots la vérité. Ils ne détruisent, en fait, que nos pauvres moyens d’extérioriser la pensée. L’admirable psychologue de la République[2] n’ignorait pas combien cette impuissance des esprits sérieux à réduire en formules nettes

  1. … καὶ οὐ λέγω, τί ἐστι τὸ ἀγαθόν, ἀλλὰ τοῦτο πειρῶμαι διδάσκειν, ὡς οὐ τωὐτὸν [εἴη] τὸ κακὸν καὶ τἀγαθόν, ἀλλ᾿ ἑκάτερον. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker², II-1, p. 638.
  2. République VII, 517 d.