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LA RÉPUBLIQUE

losophie, tout d’abord la conscience de sa vigueur ne le remplit-elle pas de fierté et de courage, et ne devient-il pas plus brave qu’il n’était ?

Si, assurément.

Mais s’il n’a d’autre occupation que la gymnastique et n’a aucun commerce avec la muse, dil a beau avoir dans l’âme un certain désir d’apprendre ; comme il ne goûte à aucune science, ne prend part à aucune recherche, à aucune discussion, ni à aucune partie de la musique, ce désir s’affaiblit et devient comme sourd et aveugle, parce que, confiné dans ses sensations grossières, il ne sait ni l’éveiller ni l’entretenir.

C’est en effet ce qui arrive, dit-il.

Dès lors cet homme devient à coup sûr ennemi des lettres, étranger aux muses ; il n’a plus recours aux raisons pour persuader ; een toute occasion, c’est par la violence et la sauvagerie qu’il marche à ses fins, comme une bête féroce, et il vit dans l’ignorance et la grossièreté, privé du sens de l’harmonie et de la grâce.

C’est tout à fait exact, dit-il.

Je puis donc dire, ce me semble, que c’est en vue de ces deux choses, le courage et la philosophie, qu’un dieu a donné aux hommes les deux arts de la musique et de la gymnastique. Il ne les a pas donnés pour l’âme et pour le corps, si ce n’est en manière d’accessoire, mais bien pour ces deux qualités, courage et philosophie, afin qu’elles s’harmonisent ensemble 412par le juste degré de tension ou de relâchement qu’on leur donne[1].

Il semble bien, dit-il.

Ainsi donc celui qui mêle la gymnastique à la musique dans la plus belle proportion et qui les applique à son âme dans la plus juste mesure, celui-là est, nous avons le droit de le dire, le musicien le plus parfait et le plus habile en harmonie, et il l’est beaucoup plus que celui qui accorde ensemble les cordes d’un instrument.

Nous pouvons le dire à juste titre, Socrate, fit-il.

  1. L’âme a pour ainsi dire deux cordes, celle de la philosophie et celle du courage, qui font une sorte d’harmonie, quand elles sont accordées à la hauteur voulue par la musique et la gymnastique. La corde du courage est relâchée par la musique et tendue par la gymnastique ; inversement celle de la philosophie est relâchée par la