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421 c
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CRATYLE

Hermogène. — Quel expédient ?

Socrate. — Celui qui consiste à attribuer un caractère barbare à ce que nous ne connaissons pas. Peut-être y a-t-il d vraiment en eux un caractère de ce genre ; peut-être aussi l’ancienneté[1] des noms primitifs les rend-elle impossibles à découvrir. Comme les noms ont été retournés en tous sens[2], rien d’étonnant si l’ancien parler, comparé à celui de nos jours, ne diffère aucunement d’une langue barbare.

Hermogène. — Ton idée n’a rien de déplacé[3].

Socrate. — C’est qu’elle est naturelle. Cependant les excuses ne me paraissent pas recevables en la cause[4], et il faut s’efforcer d’examiner les choses à fond. Réfléchissons donc : suppose que les locutions qui servent à former le nom fassent e chaque fois l’objet d’une question, et qu’à leur tour les parties dont les locutions sont formées suscitent une enquête, et ainsi de suite sans répit. Celui qui répond ne doit-il pas nécessairement finir par quitter la place ?

Hermogène. — C’est mon avis.

Socrate. — 422 À quel moment celui qui quitte la place aura-t-il le droit de s’arrêter ? N’est-ce pas quand il en sera à ces noms qui sont, pour ainsi dire, les éléments du reste, phrases et noms ? Car ceux-là ne doivent plus apparaître comme composés d’autres noms, s’il en est ainsi. Voilà par exemple agathon (bien) : nous le disions tout à l’heure composé de agaston et de thoon[5] ; le mot thoon, nous pourrions sans doute le tirer de noms différents, et ceux-là, d’autres encore. Mais si b nous venons à prendre ce qui n’est plus composé de noms différents, nous aurons le droit de dire que nous sommes arrivés à un élément, et que nous ne devons plus le rapporter à d’autres noms.

Hermogène. — Ton idée me semble juste.

Socrate. — Les noms sur lesquels porte en ce moment ta

  1. On a vu que ce genre d’explication a souvent été mis en avant par Socrate.
  2. Voir plus haut, 414 c.
  3. Pour le sens de ἀπὸ τρόπου, comparer Phèdre, 278 d, etc.
  4. Allusion aux excuses (σκήψεις) qu’alléguait un témoin cité en justice pour ne pas se présenter devant le tribunal. L’expression paraît être proverbiale. Cf. Aristophane, Acharniens, 892 : « Ce débat n’admettra pas d’excuse » (σκῆψιν ἁγὼν οὖτος οὐκ εἰσδέξεται).
  5. Voir 412 c.