Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome V, 1.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.
536 b
39
ION

on à faire entendre un air de ce poète ? aussitôt te voilà éveillé, ton âme entre en danse et les idées c te viennent en foule. Car ce n’est point par l’effet d’un art ni d’une science que tu tiens sur Homère les discours que tu tiens ; c’est en vertu d’un privilège divin et d’une possession divine. Les gens en proie au délire des Corybantes ne saisissent qu’un air avec promptitude, celui du dieu qui les possède, et pour se conformer à cet air-là, trouvent sans peine gestes et paroles, sans se soucier des autres. Toi, Ion, tu es comme eux : est-ce d’Homère qu’on fait mention ? tu n’es pas en peine ; mais s’il s’agit des autres, tu restes court. Tu me demandes la cause d de cette facilité que tu as pour Homère, mais non pour les autres : c’est que tu ne dois pas à un art, mais à un privilège divin ton habileté à louer Homère.

Ion. — Tu parles bien, Socrate ; je serais surpris, pourtant, si tu parlais assez bien pour me persuader que c’est sous le coup d’une possession et d’un délire que je fais l’éloge d’Homère. Toi-même, je pense, tu ne le croirais pas, si tu m’entendais parler d’Homère.


Seconde démonstration.
Chaque art a son domaine propre.

Socrate. — Ma foi ! je ne demande pas mieux que te t’entendre ; pas avant, toutefois, que tu n’aies répondu à ceci : e parmi les sujets que traite Homère, quel est celui dont tu parles bien ? Car ce n’est évidemment pas de tous.

Ion. — Sache-le, Socrate : de tous sans exception.

Socrate. — Ce n’est évidemment pas de ceux qu’il t’arrive d’ignorer et que traite Homère.

Ion. — Et de quelle nature sont-ils, ces sujets que traite Homère et que j’ignore ?

Socrate. — Des arts, en particulier, Homère ne parle-t-il pas 537 en maint endroit et longuement ? Par exemple, de l’art du cocher ; si je me rappelle les vers, je te les citerai.

Ion. — Mais moi, je vais les dire. Moi, je me les rappelle.

Socrate. — Récite-moi donc ce que dit Nestor à son fils Antiloque, quand il lui conseille de prendre garde au

    étant l’œuvre d’Onomacrite, et ne reconnaît comme authentique qu’un Hymne à Démêter.