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EUTHYDÈME

plus savants des hommes, et non seulement l’être, mais en avoir auprès d’un grand nombre la réputation bien établie, en sorte qu’ils jouiraient, pensent-ils, de l’estime générale, d sans les sectateurs de la philosophie, qui seuls leur font obstacle. Ils s’imaginent donc que, s’ils réussissent à les faire passer pour méprisables, dès lors ils remporteront sans conteste, aux yeux de tous, la palme du savoir. Car ils se prennent pour des savants vraiment accomplis et, quand ils se font cerner par l’adversaire dans un entretien privé, c’est à Euthydème et son école qu’ils attribuent leur échec[1]. Qu’ils se croient sages au plus haut degré, c’est naturel ; ils se disent qu’ils usent modérément de la philosophie[2] et modérément de la politique : e calcul fort naturel, car ils croient prendre de l’une et de l’autre juste le nécessaire, et, à l’abri des périls et des luttes, recueillir les fruits de leur sagesse.

Criton. — Eh bien, Socrate, leur donnes-tu raison ? À vrai dire la thèse de ces gens-là ne manque pas d’apparence.

Socrate. — En effet, Criton, c’est bien cela : elle a de l’apparence, plutôt que de la vérité. 306 Il est difficile de leur faire admettre que des hommes ou toute autre chose, intermédiaires entre deux objets et participant de l’un et de l’autre, s’ils tiennent d’un bien et d’un mal, sont supérieurs à l’un et inférieurs à l’autre ; que, s’ils tiennent de deux biens tendant à des fins différentes, ils sont inférieurs à tous les deux pour la fin où peut servir chacun des deux éléments dont ils se composent ; et que c’est seulement dans le cas où, composés de deux maux tendant à des fins différentes, ils se trouvent placés entre eux, b qu’ils sont supérieurs à chacun des deux éléments dont ils participent. Admettons donc que la philosophie et l’activité politique soient des biens, mais tendant à des fins différentes : si ces gens-là participent de l’une et de l’autre, en qualité d’intermédiaires, leur thèse est sans valeur, car ils sont inférieurs aux deux catégories ; sont-elles un bien et un mal ? ils sont supérieurs à l’une et

    logographe. Cf. Apologie, 18 a, où ῥήτωρ se rapporte à Socrate, qui parle pour la première fois devant un tribunal.

  1. Pour cet emploi de κολούεσθαι, cf. Apologie, 39 d.
  2. Cf. Gorgias, 484 c. Calliclès estime que la philosophie ne manque pas d’agrément (χαρίεν), si l’on s’y adonne avec modération (μετρίως) dans sa jeunesse.