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ION

ceux qui la possèdent elle se produit par un privilège divin (θείᾳ μοίρᾳ, 99 e), sans que la raison entre en jeu (99 c-e). Cette sorte d’inspiration qui dirige les hommes d’État se confond avec l’opinion vraie (εὐδοξία, 99 b).

Il y aurait à rechercher s’il n’entre pas quelque ironie dans cette conception du délire divin attribué aux poètes[1]. On pourrait aussi se demander quelle valeur Platon entend lui assigner[2]. Il conviendrait de faire intervenir ici la chronologie, pour déterminer dans quelle mesure les idées du philosophe ont pu évoluer sur ce point. H. Raeder[3] observe que dans le Ménon il reconnaît à l’opinion vraie une utilité pratique égale à celle de la science. À cet égard le Ménon marquerait un changement dans sa manière de voir. De même dans le Phèdre, suivant H. Raeder, Platon place très haut l’inspiration poétique, qui met l’homme en relation directe avec le divin ; il a cessé d’attribuer à la science une valeur exclusive. Sans entrer dans un examen qui serait ici hors du sujet, il suffira de noter que, même dans le Phèdre, le poète n’occupe dans la hiérarchie des âmes que le sixième rang, juste au-dessus de l’artisan ou du laboureur (248 e).

Il semble, en tout cas, que l’auteur de l’Ion n’ait pour l’inspiration poétique, comparée à la science, qu’une estime assez médiocre[4]. C’est l’impression qu’on éprouve devant l’insistance qu’il met à dépouiller le poète de tout savoir et même de toute faculté personnelle, pour ne lui laisser que l’enthousiasme, force divine sans doute[5], mais qui lui vient du dehors, et dont il n’a ni le contrôle, ni la conscience, — étrangère à la raison et incompatible avec elle. Si haut que soit ce privilège, Socrate fait ressortir d’ailleurs combien il est limité et précaire. Le poète ne peut produire avec succès que dans le genre où il plaît à la Muse de l’engager. Hors

  1. H. Raeder, Platons philosophische Entwickelung, p. 91, se prononce nettement pour l’affirmative en ce qui concerne Ion, selon lui raillerie mordante contre les poètes ; sur la difficulté du problème, voir F. Stählin, o. l., p. 1 et suiv.
  2. Voir W. Chase Greene, o. l., p. 1 sq.
  3. Cf. Wilamowitz, o. l., p. 43.
  4. G. Colin, o. l., p. 7 ; cf. St. G. Stock, The Ion of Plato, 1909, p. viii.
  5. Suivant Nitzsch, o. l., Prolegomena, p. 19, Platon, tout en gardant les formules traditionnelles, s’attaquerait à la vieille croyance qui attribuait à une impulsion divine des états naturels.