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NOTICE

en portent des traces multiples et indiscutables. On peut croire que la condamnation portée par le Gorgias contre la rhétorique avait été particulièrement désagréable à Isocrate[1], bien que celui-ci cherche en toute occasion à se séparer des maîtres de rhétorique ordinaires pour se mettre au-dessus d’eux. Dans l’Hélène[2] il nomme, parmi ces orgueilleux qui sont capables de développer avec une insupportable faconde un thème extravagant et paradoxal, « ceux qui exposent l’identité de la bravoure, du savoir et de la justice, affirmant que nous ne possédons naturellement aucune de ces vertus, et qu’une seule science les concerne toutes » : or, cette théorie dont il parle avec tant de hauteur est celle que Platon développe dans le Protagoras[3]. Il en est de même dans le discours Contre les Sophistes, quand Isocrate déclare : « Que personne ne me fasse dire que la justice peut s’enseigner ! Selon moi, il n’est absolument aucun art capable d’inculquer la tempérance et la justice aux natures mal douées pour la vertu » (§ 21). Ailleurs, il se montre plus conciliant ; dans le discours sur l’Échange, où la formule τοὺς ἐν τοῖς ἐριστικοῖς λόγοις δυναστεύοντας désigne vraisemblablement l’école platonicienne, il accorde à la dialectique une certaine utilité pour la formation de l’esprit[4]. Mais, sous cette réserve, il est carac-

    poètes que Platon avait eu avec Isocrate, dans sa maison de campagne où il le recevait. Ils avaient d’autre part des amis et des adversaires communs ; sur un certain nombre de points leurs idées se rencontraient (B. de Hagen, o. l., p. 25 sq.).

  1. Raeder, o. l., p. 187. Wilamowitz le conteste (o. l., p. 109), en soutenant que personne ne prenait alors au sérieux la condamnation formulée dans le Gorgias.
  2. § 1.
  3. Raeder, o. l., p. 138.
  4. Cf. Panathén., 26 etc. Pourtant, dans le discours sur l’Échange, il réplique avec vivacité à une attaque de Platon. Dans la République, 500 b, celui-ci rendait responsables de l’hostilité du public envers les philosophes « ceux qui du dehors ont fait indécemment irruption parmi eux, les injuriant et les traitant avec un parti pris de malveillance (φιλαπεχθημόνως), toujours occupés à parler d’individus, activité qui n’a rien à voir avec la philosophie. » Plus haut (498 e) il opposait à sa libre méthode d’exposition les procédés de la phrase savante : ῥήματα ἐξεπίτηδες ἀλλήλοις ὡμοιωμένα. Isocrate se sentit visé par l’allusion, et il répond dans l’Échange (260) au reproche de malveillance (φιλαπεχθήμονας).