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NOTICE

judiciaires écrits pour des clients[1]. La position qu’il a prise le range « à la limite » du philosophe et du politique. Son but est avant tout de composer des œuvres utiles, faites pour l’instruction de l’auditoire, pleines de hautes idées morales et de considérations politiques. L’éloquence, telle qu’il l’entend, est la méthode d’éducation par excellence. Elle est même une philosophie, et la seule digne de porter ce nom, car elle a un objet pratique[2]. La phrase de Socrate sur ces gens qui, « à l’abri des périls et des luttes, recueillent les fruits de leur sagesse », trouve son commentaire dans le discours sur l’Échange, notamment § 151, où Isocrate parle de son goût « pour la tranquillité et une vie sans tracas », existence qu’il jugeait « plus agréable que celle des gens remuants ». Avec l’ironique καρποῦσθαι τὴν σοφίαν de l’Euthydème on comparera la déclaration d’Isocrate (id. § 195) : ἀπολέλαυκα τοῦ πράγματος : on sait qu’il avait tiré beaucoup d’argent de son enseignement (id. § 158). À plusieurs reprises il a attaqué les éristiques : il parle dédaigneusement, au début de l’Hélène, de « ceux qui passent leur temps à des disputes (τοῖς περὶ τὰς ἔριδας διατρίβουσιν) sans intérêt, bonnes seulement à causer des difficultés à ceux qui les approchent » (208 b). Leur unique souci est de s’enrichir aux dépens de la jeunesse (209 b). Dans le discours Contre les sophistes, il s’écrie (291 b) : « Qui n’aurait de la haine et du mépris pour ceux qui passent le

  1. B. de Hagen, o. l., objecte, p. 19, qu’Isocrate ne fut logographe que dans ses premières années, et dans la suite se défendit toujours de l’être. Il proteste en effet dans l’Échange, a, contre certains sophistes qui calomnient ses occupations, en prétendant qu’il écrit pour les tribunaux. Mais sa protestation montre précisément que jusqu’à la fin de sa carrière (lors du discours sur l’Échange, en 354, il a quatre-vingt-deux ans), ses adversaires le poursuivaient de cette appellation.
  2. Il est vrai que l’inconnu de l’Euthydème parle avec mépris de la philosophie (304 e-305 a) et Hagen (o. l., p. 21) en conclut que ce ne peut être Isocrate, qui décore du nom de philosophie son propre enseignement. Mais la φιλοσοφία raillée par l’inconnu est l’éristique des sophistes et la dialectique de Socrate : elle n’a rien à voir avec la conception isocratique, et le blâme porté contre la première, « ce que certains appellent la philosophie » (Échange, 270), ne tombe point sur la seconde.