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LE BANQUET

tu te trouvais où j’en suis, ou, plus vraisemblablement, où j’en serai quand Agathon aura, lui aussi, fait un beau discours, tu aurais peur, grand peur, et tu serais dans tous tes états, comme j’y suis à présent ! — C’est un sort que tu veux me jeter, Socrate[1] ! s’écria Agathon ; pour me troubler par l’idée de l’attente sans bornes où est notre public, de ce beau discours que soi-disant je vais prononcer ! — Je serais, dit Socrate, bien oublieux en vérité, Agathon, moi qui t’ai vu si brave et b si fier quand tu montais sur l’estrade avec tes acteurs[2], quand tu regardais en face un si nombreux public au moment où tu allais lui présenter une œuvre de toi, et sans être non plus frappé le moins du monde, si maintenant j’allais m’imaginer que tu vas te laisser troubler pour la poignée de gens que nous sommes ! — Eh quoi ! Socrate, j’espère bien, repartit Agathon, que tu ne me juges pas assez enflé de théâtre, pour ne pas savoir qu’aux yeux d’un homme de sens une petite compagnie de gens intelligents est plus redoutable qu’une cohue d’imbéciles ! — Agathon, c ce serait en vérité bien vilain de ma part, dit Socrate, de trouver, moi, en l’homme que tu es quelque défaut d’élégance ! Je sais bien, au contraire, que, s’il t’arrive de rencontrer des hommes que tu juges sages, tu en feras sans doute plus de cas que de la foule ; ce que je crains plutôt, c’est que ces sages, ce ne soit point nous ! Car là-bas, nous y étions ; nous faisions partie de la cohue[3] ! Mais si c’est d’autres que tu rencontres, des sages cette fois, devant ceux-là, je crois bien, tu rougirais de honte si tu te pensais (admettons-le) responsable de quelque vilaine action ? Qu’en dis-tu ? — C’est la vérité, répondit-il. — Tandis que, devant la foule, tu ne rougirais pas te sentant d responsable d’une vilaine action… ?” Là-dessus, contait Aristodème, voilà Phèdre qui intervient : “Cher Agathon, dit-il, tu n’as qu’à répondre à Socrate, et désormais la marche, le sort final de

    en la matière n’étant pas du même ordre. Pour Socrate, p. 72, 1.

  1. « En présumant trop de moi, tu vas me porter malheur ! » Cf. Phédon 95 b. Souvent au reste le Socrate de Platon fait figure d’enchanteur et de magicien (Charmide 155 e-157 c, 176 b ; Ménon 80 ab ; Phédon 77 e sq.) Voir Notice [{{{1}}}]cvi sq.
  2. Avant le concours, le poète présente ses acteurs et ses choreutes : c’est le proagôn.
  3. Ainsi se change en une impolitesse la politesse d’Agathon.