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LE BANQUET

pouvons, de faire l’amour avec les femmes libres. 182 De fait, ce sont eux encore qui ont fait naître et grandir la déconsidération au point que des gens ont le front de prétendre que c’est vilain d’accorder ses faveurs à un amant ! Mais, si ces gens parlent ainsi, c’est que leurs yeux se tournent vers ces hommes, dont ils voient le manque de tact et d’honnêteté ; alors qu’il n’y a vraiment rien au monde, du moment que cela se fait selon les convenances et selon les règles, qui puisse encourir un juste blâme.


Réflexions sur la diversité des mœurs

“Passons à la règle de conduite en matière d’amour : elle est dans certains États aisée à comprendre, parce que le principe qui la détermine est absolu, tandis que chez nous[1] cette règle b comporte des nuances. D’une part en effet, dans l’Élide, à Lacédémone, chez les Béotiens, c’est-à-dire là où les gens ne sont pas de savants parleurs, on a posé en règle absolue qu’il est beau d’accorder aux amants ses faveurs : personne, jeune ou vieux, ne dirait que c’est laid ; et leur but est, je pense, de n’avoir pas à se tourmenter en efforts de parole pour convaincre les jeunes, vu leur inaptitude à parler. D’autre part, en beaucoup d’endroits de l’Ionie et ailleurs encore, la règle établie veut que ce soit laid : c’est partout où les habitants sont sous le joug des Barbares ; chez les Barbares en effet leur régime des tyrannies veut que ce soit une vilaine chose, aussi bien du reste que d’aimer le savoir et d’aimer les exercices c physiques : c’est, je pense, qu’il est de l’intérêt des maîtres de ne pas laisser naître de hautes pensées chez leurs sujets, pas davantage des amitiés et des liaisons vigoureuses ; ce que l’amour justement, plus que tout au monde, produit d’ordinaire. Et c’est une leçon dont, en ce pays même, les tyrans ont fait l’expérience, puisque, chez Aristogiton l’amour et, chez Harmodius, l’affermissement de la tendresse furent ce qui détruisit leur pouvoir[2]. Ainsi, là où l’on a

  1. Les Mss. donnent : chez nous et à Lacédémone. Mais les derniers mots se placent mieux plus bas. Cf. 183 d et Notice, p. xlvii, n. 1.
  2. En 514, pendant la fête des Panathénées, Aristogiton et son aimé Harmodius poignardèrent Hipparque, frère du tyran Hippias, héritier à Athènes du pouvoir de Pisistrate, leur père. Harmodius périt dans l’échauffourée, Aristogiton fut mis à mort.