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LE BANQUET

« “Eh bien donc ! déclara Éryximaque, maintenant que c’est chose entendue que chacun ne boira qu’autant que cela lui plaira et sans qu’il y ait rien d’obligatoire, alors je propose, d’abord d’envoyer promener la joueuse de flûte qui est entrée ici tout à l’heure (qu’elle flûte pour soi, ou bien, à son gré, pour les femmes de la maison !), et nous, de passer en discours le temps de la réunion qu’aujourd’hui nous avons ensemble. En discours de quelle sorte ? c’est, s’il vous plaît, ce que je suis tout prêt à vous proposer.” 177 Sur ce, tous déclarent que cela leur plaît et l’invitent à faire sa proposition. Éryximaque dit alors : “En vérité, mon discours a son exorde dans la Mélanippe d’Euripide[1] ; car ce n’est pas de moi, mais de Phèdre, ici présent, que sont les paroles que je vais prononcer. Pas une fois, en effet, Phèdre ne manque, tout indigné, de me tenir ce langage : « N’est-il pas stupéfiant, Éryximaque, dit-il, que tels ou tels autres parmi les dieux aient inspiré aux poètes la composition d’hymnes et de péans, tandis qu’à l’égard de l’Amour, un dieu si vénérable, un dieu si grand, il ne s’en est jamais trouvé un seul, entre tous les grands poètes qui ont existé, pour b rien composer à sa louange[2] ? Et, s’il te plaît de considérer à leur tour les Sophistes de valeur, c’est d’Hercule[3] et d’autres qu’ils écrivent l’éloge en prose : ainsi l’excellent Prodicus. De quoi, après tout, il n’y a même pas tant à s’émerveiller, si l’on songe en revanche au savant homme, sur un livre de qui je suis, pour ma part, tombé un de ces jours, où le sel était l’objet d’un prodigieux éloge eu égard à son utilité ! Quantité d’autres choses du même genre, on pourrait le constater, ont été célébrées. c Alors, dis-je, que pour traiter de tels sujets on s’est donné tant de peine, l’Amour au contraire n’a pas encore trouvé d’homme, jusqu’à ce jour-ci, qui ait eu le courage de le chanter selon ses mérites. Voilà pourtant comme on néglige un si grand Dieu ! » Sur ce point, à mon avis,

  1. Dans celle de ses deux Mélanippe qu’on appelait la Sage (fr. 484 Nauck²).
  2. Cf. Notice p. XXXIII et n. 1.
  3. Hercule entre Vice et Vertu (cf. Xénophon Mem. II 1, 21-34). Le savant homme peut être Polycrate, qui avait loué les pots, les souris, etc. (cf. Notice p. xi n. 2).