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NOTICE

objection anonyme : pourquoi admettre cette mutuelle exclusion des contraires, puisqu’auparavant on a admis inversement (cf. 70 e sq.) que les contraires s’engendrent l’un l’autre ? (103 a) — Cette objection, sur laquelle l’attitude même de Socrate en l’écoutant appelle l’attention, c’est la solution héraclitéenne. Mais, en supprimant la distinction de deux ordres dans l’existence, le sensible et l’intelligible, elle supprime en réalité le problème, parce qu’elle supprime le démenti réciproque d’où naissait celui-ci. Tel est le sens de l’observation de Socrate : il faut distinguer entre les deux points de vue. Tout à l’heure il était question de ce qui est grand ou petit, vivant ou mort, bref de choses qui possèdent en elles tel ou tel contraire et qui ont pour attribut la dénomination de ce contraire. À présent il est question des contraires eux-mêmes en tant que tels, dont les sujets reçoivent la dénomination qui leur est attribuée. Du premier point de vue on est en droit de dire que les contraires naissent l’un de l’autre ; du second, on ne peut le dire, mais inversement que jamais en soi un contraire ne saurait devenir à soi son propre contraire, que d’ailleurs on l’envisage en un sujet ou bien dans la réalité absolue de sa nature[1] (103 a-c). — En d’autres termes, si les qualités des choses s’expliquent par la participation de ces choses à des essences intelligibles, les qualités contraires dépendent dans les choses d’une participation à des contraires en soi ; dans leur immanence, les contraires restent donc soumis à la loi d’exclusion mutuelle qui règle leurs rapports dans l’existence absolue.

En réfutant l’objection, Socrate n’a pas encore pourtant apaisé l’inquiétude de Cébès ; on devra par conséquent ramener l’examen du problème à l’objet propre de cette inquiétude. Cela se fait en deux moments.

α. Dans le premier on précise à propos des contraires la nature de l’attribution. Tous les attributs en effet ne sont pas liés à leurs sujets de la même façon. Quand Simmias tout à l’heure était dit « grand » ou « petit », il participait à la Grandeur ou à la Petitesse selon qu’il était comparé à un sujet ou à un autre ; l’attribution de l’épithète, l’ἐπωνυμία, était contingente et relative ; par suite ce mode de liaison pouvait prêter à une interprétation relativiste. Mais il y a

  1. Voir p. 78, n. 1 ; cf. 102 d.