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PHÉDON

conditions sans lesquelles Socrate serait incapable de faire ce que par son intelligence il juge meilleur de faire. La vraie cause, c’est ce choix du meilleur (98 b-99 b).

Faute de distinguer entre la cause qui est réellement cause et la condition sans laquelle celle-ci ne serait pas causante, une telle méthode d’explication condamne à tâtonner dans l’obscurité. Voilà pourquoi les Physiciens, avec leurs explications mécanistes, ne s’accordent pas entre eux. Ils méconnaissent le pouvoir causal du meilleur possible et son efficacité. C’est pourtant lui, véritable cause efficiente en même temps que cause finale, qui met les choses en l’état où elles sont ; seul il est capable de les lier[1] en un système stable. Voilà la cause que Socrate aspire à connaître. Or il n’a pu s’en instruire près de personne, et il n’a pas réussi non plus à la trouver par lui-même. Pour la découvrir il fallait donc « changer de navigation »[2]. Ce sont ces tentatives nouvelles pour atteindre le port, que maintenant Socrate va conter à Cébès (99 b-d).

  1. La nécessité particulière qui est dans le bien (cf. 97 e s. fin.) est l’obligation qui lie les choses entre elles ; il y a là, dans le grec, une allitération que le français ne permet pas de rendre complètement (ligare, lier).
  2. La phrase de Socrate 99 c : « puisque je n’avais eu le moyen, ni de la découvrir par moi-même, ni de m’en instruire près d’un autre » semble rappeler les deux premiers termes de l’alternative envisagée par Simmias 85 c. Ce serait donc aussi le souvenir de la métaphore nautique employée par celui-ci (d) qui suggérerait à présent la métaphore proverbiale du δεύτερος πλοῦς. On est par suite tenté de croire que, dans la pensée de Platon, le nouveau mode de navigation à employer correspond au troisième terme de Simmias : la révélation divine. Peu importe que, dans son sens habituel, le δεύτερος πλοῦς représente un pis-aller. Peut-être, en l’espèce, ce pis-aller conduira-t-il au but. Il est d’autre part tout à fait conforme aux procédés ordinaires de l’ironie, de présenter avec modestie une tentative d’où sortira la révélation de la vérité. D’ailleurs, si les Physiciens ont échoué dans la recherche de la cause véritable, Socrate n’a pas été jusqu’à présent plus heureux ; il serait donc peu naturel qu’il produisît orgueilleusement la nouvelle méthode comme une découverte de son propre génie. En somme, en insinuant ici que sa démonstration de l’immortalité a une valeur surhumaine, Platon ferait d’une façon détournée ce qu’il fait ailleurs ouvertement, par ex. Ménon 81 ab, Banquet 201 d, Philèbe 16 c.