Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103 b
78
PHÉDON

réfléchis pas cependant à la différence qu’il y a entre ce qu’on dit à présent et ce qu’on disait à ce moment-là. Ce qu’on disait en effet à ce moment, c’est que de la chose qui est contraire naît la chose qui lui est contraire ; mais à présent, que c’est le contraire lui-même qui ne saurait devenir son propre contraire, pas plus envisagé en nous-mêmes qu’envisagé dans la réalité de sa nature[1]. Oui, mon cher, à ce moment il s’agissait des sujets auxquels appartiennent les contraires et que nous qualifions d’après la dénomination de ceux-ci : mais à présent c’est des contraires en eux-mêmes, dont la dénomination, avec leur présence dans les sujets qualifiés, passe à ceux-ci ; et les contraires en question, jamais, disons-nous, ils ne consentiraient c à recevoir les uns des autres la génération. » En même temps il regarda Cébès et s’exprima ainsi : « Est-ce que par hasard, dit-il, tu n’as pas été troublé, toi aussi Cébès, par un doute sur ce dont a parlé l’homme que voici ? — Eh bien non, dit Cébès, pas du tout ! ce n’est pas mon cas. Ce qui pourtant ne veut pas dire qu’il n’y ait quelques petites choses qui me troublent ! — Est-ce que, reprit-il, nous nous sommes tous deux bien mis d’accord sans restriction, que jamais le contraire ne sera son propre contraire ? — Absolument, répondit Cébès.

— Poursuivons donc, dit Socrate : fais-moi le plaisir d’examiner si, sur ceci, toi et moi nous sommes d’accord. Il y a une chose que tu appelles chaud, et une autre, froid ? — Hé ! bien sûr. — Est-ce là, précisément, ce que tu appelles neige et feu ? — Ah ! non, bien sûr, d par Zeus ! — Mais alors le chaud est une chose autre que du feu, et le froid, une chose autre que de la neige ? — Oui. — Mais c’est qu’alors, je pense, selon ton sentiment jamais une neige authentique, qui aura, de la façon que nous disions auparavant, reçu en elle le chaud, ne continuera d’être ce que précisément elle est, en étant neige avec chaud ; tout au contraire, à l’avance du chaud, ou bien elle lui cédera la place, ou bien elle cessera d’exister[2]. — Hé ! absolument. — Et le feu à son tour, quand le froid avance contre lui, ou bien il se dérobe, ou bien il est détruit, sans jamais se résoudre, après avoir reçu en lui la froidure, à être encore ce que précisément il est, en étant feu avec

  1. Par opposition à « en nous ». Cf. Rep. X, 397 b, Parm. 132 d.
  2. Il s’agit à présent de choses qui ont un attribut qu’elles ne