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PHÉDON

défini de penser et de parler, dont il existe une méthode[1] ; tout l’entretien semble être une mise en œuvre de la rhétorique philosophique, considérée comme un acheminement à la démonstration. De ἀπολογία, en effet, du plaidoyer qui développe des motifs et s’efforce de les rendre persuasifs, on s’élève ensuite à la παραμυθία, à l’exhortation qui comporte déjà des justifications logiques et constitue, comme on disait alors, une protreptique, un exercice de conversion ; on parvient enfin à des raisonnements, dont la rigueur prétend visiblement s’égaler à celle des démonstrations mathématiques, pour les surpasser en portée ; seuls ils sont capables de légitimer en dernière analyse, s’il y a lieu, les modes antérieurs de l’argumentation : les règles mêmes de cette méthode supérieure sont énoncées avec une précision technique qu’il faut souligner. Dans cet énoncé et surtout dans le morceau sur la « misologie » (89 c-91 b), l’ensemble de cette technique est opposé avec une belliqueuse ardeur aux prétentions injustifiées d’adversaires qui ne savent ni ce qu’est rigueur ni ce qu’est vérité[2]. Dira-t-on que c’est précisément une telle technique que visaient Aristophane en faisant, pour une part, du Socrate des Nuées un maître de chicane ? ou le « faiseur de comédies » en le traitant d’odieux bavard (70 b) ? ou encore Xénophon quand il raconte (Mem. I 2, 31-38 ; cf. ibid. 15, 39 et 47) comment les Trente avaient interdit à Socrate d’enseigner l’art de la parole ? Soit ; acceptons que Socrate ait en effet donné un tel enseignement. Mais ou bien c’est avant ce qu’on peut nommer la période « critique » de sa carrière, avant de se vouer tout entier à cette mission d’examen dont parle l’Apologie et que lui a imposée la réponse de l’Oracle delphique ; ou bien cet enseignement de l’art de penser et de parler n’a pas été interrompu par l’exercice de la mission. Dans le premier cas, on comprend mal pourquoi, à son dernier jour, Socrate met en

  1. Voir en particulier 61 b, 64 c fin, 75 d, 78 d, 84 d, 89 c, 91 ab, 101 de, 115 c.
  2. D’une façon générale ils sont appelés controversistes, ἀντιλογικοί, gens qui enseignent à parler pour ou contre, sans nul souci de la réalité et de l’essence des choses. C’est ainsi que l’élève des Sophistes qui a écrit les Doubles raisons (δισσοὶ λόγοι) rejette expressément toute recherche de ce genre, c’est-à-dire portant sur le τί ἐστι (Vorsokratiker de Diels, ch. 83, i 17).